DAJMA | Chapitre 60 – La Cité des secrets
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Chapitre 60 – La Cité des secrets

A quoi elle sert, cette foutue loi ?

La salle de réunion de Bruno Walmer était une petite salle à manger reconvertie, avec vue des ses deux fenêtres à petits carreaux sur un joli jardin de curé. Des petits carreaux qui n’avaient pas été changés depuis un siècle, et déformaient le paysage d’une façon qui faisait mal aux yeux et pouvait provoquer une migraine, pour peu qu’on reste trop longtemps à fixer l’extérieur à travers eux.
Il avait proscrit toute décoration, mais les murs bleu pâle suggéraient des espaces infinis aux confins de la mer, de la haute montagne et du ciel. La table elle-même était ronde, avec huit sièges à accoudoir et rembourrage confortable placés à distance égale les uns des autres. La théorie de Bruno était qu’à plus de huit, une réunion ne pouvait fonctionner, et qu’autant être bien assis pour pouvoir se concentrer sur l’objet de la discussion plutôt que sur l’état de son fessier.
Ils étaient sept autour de la table : Bruno, Gaëlle, Marianne, plus deux représentants de l’association des résidents du Puiseux, et deux scientifiques, un géologue et un physicien.
Les participants écoutaient le géologue, le plus âgé des deux hommes, faire son exposé. Ils avaient les sourcils froncés par l’attention, et prenaient des notes sur les blocs placés devant eux. Seule Marianne paraissait distraite, et Bruno, placé en face d’elle, lui jetait des fréquents coups d’œil, étonné que sa nouvelle associée ne paraisse pas plus concernée.
– Ce qu’il faudrait, conclut le géologue, ce serait effectuer des mesures sur l’ensemble de l’ancienne carrière pendant plusieurs mois d’affilée.
Gaëlle toussota.
– Vous voulez dire que vous n’êtes plus certain de pouvoir prouver à partir des résultats déjà obtenus que la radioactivité vient de là ? Les deux scientifiques parurent ennuyés.
–  Bien sûr que nous en sommes certains. L’étude géologique de la région prouve sans contexte qu’il n’y a pas de radioactivité native dans le sol. Aucune des roches qui le composent ne peut émettre la quantité de radiations que nous avons observée dans les différents prélèvements…
–  Mais nous sommes habitués à ce cas de figure, souligna l’autre scientifique. Ni les élus, ni les juges ne comprennent rien à la radioactivité, à la façon dont elle se propage, ou à celle dont elle peut contaminer d’autres roches, et l’eau, même s’ils ne sont pas en contact direct. Nous devons tout faire…
–  Mais cela à un coût, c’est ça, dit le trésorier de l’Association.
–  Oui, reprit le scientifique. Et nous avons déjà largement dépassé notre budget sur ce dossier. Malheureusement, nous avons plein d’autres études en cours, tout aussi cruciales…
–  Je vous rappelle que nous n’avons pratiquement plus de fonds propres, et nous n’avons obtenu aucune subvention au niveau du département pour financer ces recherches. Nous étions tous d’accord pour que vos investigations se poursuivent encore…
–  Je sais, reprit le géologue, mais ça a été comme vous le savez tous plus compliqué que prévu. La Mairie ne nous a pas facilité la tâche, les anciennes carrières sont pour le moment inaccessibles… Vous n’avez pas accès à des subventions régionales ?
–  Nous attendons encore la réponse de la Région, qui n’est pas de la même obédience politique que le Département, reprit l’autre représentant de l’association. Mais vu le contexte actuel, ce n’est pas gagné. Il faudrait une décision de justice…
–  Là où nous sommes bloqués, intervint Bruno Walmer, c’est que comme vous le savez, on bute toujours sur le même écueil : la loi interdit les recours collectifs pour motif environnemental ou de santé…
–  A quoi elle sert, cette foutue loi, alors ? dit le trésorier. C’est ridicule.
–  Je ne vous le fais pas dire, mais en attendant que la législation évolue, il va falloir trouver un biais si on veut que la justice nous aide.
La discussion de prolongea encore une bonne demi-heure, avec pour seul résultat la décision de calculer le coût exact des nouvelles investigations pour compléter le dossier.
Bruno avait quelques idées sur la façon de contourner la loi, mais il n’en avait pas encore parlé à Marianne, et préférait lui réserver la primeur.
Dès que les trois avocats furent seuls, Bruno poussa un soupir de lassitude.
– C’est mal barré, dit-il. Marianne, je sais que ce n’était pas passionnant, mais j’ai eu le sentiment que vous étiez complètement ailleurs.
Marianne rougit légèrement, et Gaëlle se crispa.
–  Je sais, dit-elle, vous avez raison. Je n’ai pas eu le temps de vous le dire, mais j’ai déjeuné avec le maire, et il a tenté de me convaincre de m’occuper de divers dossiers à la Mairie, dont celui du Puiseux.
–  Ah, dit Bruno, il tente de vous manipuler. Il doit déjà savoir que vous rejoignez mon cabinet. Marianne sourit.
– Au jeu de la manipulation, on peut être au moins deux. Je n’ai pas dit non, je voudrais aller un peu plus loin pour tenter de comprendre où il veut vraiment en venir.
Gaëlle s’agita sur son siège.
–  Gaëlle ? dit Bruno.
–  Je pense surtout que c’était pour découvrir à quel point Marianne est engagée avec nous, et peut-être pour la convaincre de changer de camp.
–  Si peu subtil que ça ? dit Marianne.
–  Gaëlle a sans doute raison, reprit Bruno. Samuel Dolf est loin d’être aussi malin que son frère aîné. Et en plus il se prend pour un grand séducteur.
Marianne se souvint du contact de la main de Samuel Dolf, et de sa réaction, qui lui paraissait à présent exagérée. Qu’est-ce qu’il avait dit aussi, qui l’avait étonnée, presque dérangée…? Elle l’avait noté sur le moment, puis oublié. Sa mémoire refusait de fonctionner. Bizarre…
– Marianne nous a encore quittés, dit Bruno. Je vais finir par croire que Samuel Dolf a finalement réussi à vous déstabiliser…
Marianne répondit d’un sourire, et d’une pression sur la petite main de Gaëlle. Mais sur le fond, elle devait reconnaître que Walmer n’avait pas tort.

 

 

 

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