DAJMA | Chapitre 57 – La Cité des secrets
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Chapitre 57 – La Cité des secrets

Charlène ne se fit pas prier et Philippe la précéda dans une grande entrée dallée d’où s’élevait un bel escalier de marbre jusqu’à la galerie du premier. Ils passèrent sous l’escalier et il l’introduisit dans un salon aux larges dalles de pierre claire, et aux murs lambrissés.
–  Asseyez-vous, je vous en prie, dit-il en lui indiquant une ottomane au coin de la fenêtre. Je peux vous offrir quelque chose à boire ? Un café ?
–  Oui, merci.
Il s’absenta et Charlène se releva aussitôt, examinant la pièce.
Elle aperçut près du téléphone un agenda et alla l’ouvrir. Il y avait des spécimens d’écriture, elle sortit son appareil de photo et prit rapidement quelques clichés, mais elle doutait que ce fut suffisant pour confirmer ou infirmer une comparaison avec la lettre. Elle entendit le pas de son hôte et retourna vers la fenêtre.
– Muriel ne m’a jamais parlé de cette rubrique ! dit-il en entrant avec un plateau dans les mains. Il faut dire qu’elle ne me parle pas de grand chose…
Il posa le plateau sur le guéridon placé à côté de l’ottomane et la servit. Charlène était frappée par la courtoisie et la douceur du plus jeune frère Dolf, en comparaison avec le comportement autocratique de Jean-Claude. Même physiquement, les deux hommes se ressemblaient peu. Seule leurs voix et certaines intonations les apparentaient.
–  Oui, répondit-elle, elle manquait d’assurance, et elle avait peur que vous moquiez d’elle.
–  Muriel ? Peur que je me moque d’elle ? Vous êtes certaine qu’on parle de la même personne ? C’est Muriel qui a tendance à se moquer de tout le monde…
–  Je sais qu’elle avait préparé un projet d’article de société qu’elle tenait absolument à me faire lire… D’où notre rendez-vous.
–  C’est vraiment étrange. Autant que je sache, ma femme n’a pas la moindre compétence journalistique.
–  Je ne suis pas d’accord, dit Charlène. Quand nous nous sommes parlé, j’ai été frappé par sa pertinence, et par son sens de l’observation. Peut- être a-t-elle laissé quelque chose ici, quelques pages même manuscrites…
Il parut songer à quelque chose et sourit légèrement, de son petit sourire triste.
– Ça m’étonnerait, mais je vais vérifier. Elle se leva en posant sa tasse de café.
– Votre café est délicieux, dit-elle.
–  Oui, le secret c’est un mélange torréfié peu avant la consommation, et préparé dans un percolateur à l’ancienne. Reprenez une tasse, le temps que j’aille voir dans son bureau…
–  Vous avez une maison magnifique.
–  Oui, vous voulez faire le tour du propriétaire ?
–  Avec plaisir.
Elle apprit qu’il avait lui-même supervisé tous les aménagements du petit manoir acheté par son père cinq décennies plus tôt et laissé quasiment à l’abandon. Pour la première fois, elle le vit s’animer et décrire avec une sorte de ferveur la manière dont il avait choisi les matériaux, imposé ses choix aux deux architectes successifs. Elle lui en fit la remarque et il haussa les épaules.
–  Contrairement à mes frères, dit-il, je n’ai ni le talent de gagner beaucoup d’argent, ni celui de séduire les gens et les foules… Mais j’adore les maisons.
–  Vous avez fait des études d’architecture ?
–  J’ai un vague diplôme d’une école de commerce. Je n’ai découvert ma passion que sur le tard, quand mon père est mort, et que j’ai enfin pu faire ce qui me plaisait dans la vie… Restaurer des maisons… Enfin, celle-ci, surtout.
–  Et votre femme partage votre passion ?
–  On ne peut pas dire, non, ma femme a ses passions à elle.
Il dit cela d’un ton léger, mais Charlène sentit qu’il se crispait, et se demanda ce qu’il sous-entendait. Elle avait entendu des ragots sur Muriel, mais elle n’accordait qu’une fois limitée à la rumeur, en bonne investigatrice qui ne croyait qu’aux informations vérifiées.
Il ouvrit une porte au premier, et lui céda le passage.
– Justement, voici son bureau. Nous allons bien voir si nous trouvons quelque chose en rapport avec ce qu’elle vous a dit.
En entrant dans cette pièce, Charlène sentit qu’elle changeait d’univers. Le monde de Muriel. Tout était dans les tons roses ou jaunes. Les murs étaient couverts de dessins, de gravures, et de photos encadrés. De Gavarni à Andy Warhol, et l’odeur même était différente. Elle vit le premier cendrier de la maison, et une cartouche de cigarettes entamée posée sur le petit bureau à cylindre.
Il prit un agenda sur le bureau et l’ouvrit.
– C’est drôle, dit-il, je sais que ma femme n’était pas très ordonnée, mais je ne vois aucune mention de votre rendez-vous pour aujourd’hui.
Regardez-vous même.
Il tendit l’agenda à Charlène, qui fixa la page et put enfin voir plusieurs mots d’affilée inscrits de la main de Muriel Dolf. Seulement, il lui était impossible de trouver un prétexte pour photographier ces pages…
Elle avisa soudain le regard de Philippe. Il la fixait avec intensité, son visage doux durci par la tension, voire la colère.
– Je pense que vous ne m’avez pas dit le véritable motif de votre visite, dit-il.
Charlène hésita. C’était un Dolf qui était en face d’elle, et pourtant, contre toute raison, elle avait envie de lui faire confiance. En même temps, faire confiance à un Dolf, c’était plus qu’imprudent, ça pouvait être suicidaire.
– Je ne me trompe pas, insista l’homme qui lui faisait face, je le sais. Vous avez entendu quelque chose au sujet de ma femme et vous êtes venue ici m’interroger sous un faux prétexte pour vérifier votre information.
Il lui reprit l’agenda des mains.
– Désolé pour l’exposé architectural qui a du vous assommer d’ennui. Je suis parfois un peu naïf et je vois prie de m’excuser. Je pense que nos n’avons plus rien à nous dire. Je vous raccompagne.
Il resta silencieux jusqu’à la porte d’entrée, qu’il ouvrit largement.
–  Au revoir Mademoiselle Fox.
–  Oh et puis merde ! dit Charlène.
–  Je vous demande pardon ?
–  Je ne vous connais pas, mais j’aimerais vous faire confiance… Et votre exposé architectural, comme vous dites, ne m’a pas du tout ennuyé. Je trouve que votre maison est très belle et arrangée avec beaucoup de goût. D’accord. Je sais effectivement quelque chose concernant votre femme. Le problème, c’est que ce que j’ai appris met gravement en cause le maire.
–  Samuel ?
–  Oui. Philippe sourit.
–  Vous êtes sérieuse ? Vous savez quelque chose qui pourrait nuire à mon frère Samuel ?
–  Oui.
–  Pas un secret d’alcôve, j’espère ? Ça ne nuit à personne, les histoires de fesses, et surtout pas aux hommes politiques…
–  Non, il ne s’agit pas de ça.
–  Eh bien je vous en prie, ne vous gênez surtout pas pour le diffuser sur votre blog.
–  Vous êtes sérieux ?
–  Et comment !
Il avait l’air tellement sincère que Charlène décida de prendre le risque.
– Pour ça, j’ai besoin d’authentifier ce secret… Et vous êtes le mieux placé pour m’y aider. Regardez ce que j’ai reçu ce matin, sous ma porte. Elle sortit son smartphone de sa poche et lui montra la photo de la lettre.
– Attendez, je vais vous l’agrandir.
Il lut la lettre de la première à la dernière ligne.
–  C’était donc ça…, dit-il.
–  Quoi ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?
–  Rien.
–  Je vous ai fait confiance, vous pourriez me rendre la pareille.
–  Je ne peux rien vous dire pour le moment. Il faut que je réfléchisse. Je vous rappellerai.
–  Bon. Vous pouvez me dire au moins si c’est bien l’écriture de votre femme ?
–  Oui, c’est bien l’écriture de Muriel. Vous allez faire quoi de cette lettre ?
La publier sur votre blog ?
–  Je ne sais pas encore.
–  Pourquoi ? Vous avez peur de la réaction de mes frères ?
–  Il y a de ça, reconnut Charlène.
–  Vous avez peut-être raison d’avoir peur. Jean-Claude n’oublie pas facilement quand on le contrarie, j’en sais quelque chose.
–  Ça pourrait être un faux très bien imité ?
–  Je ne crois pas. Regardez la façon dont les « e » sont accentués. Muriel n’a jamais eu aucune notion des accents, elle les met au petit bonheur, comme ici. Et c’est bien son écriture. Elle vous a envoyé cette lettre par la poste ?
–  Non, je vous l’ai dit, je l’ai trouvée glissée sous ma porte.
–  Ah…
–  Vous ne pouvez pas me dire où est votre femme ?
–  Non, je ne peux pas vous dire où elle est. Je n’en ai pas la moindre idée.
Mais quand vous publierez la lettre, vous pourrez dire que vous me l’avez montrée et que je l’ai authentifiée.
–  Ça ne risque pas de vous causer des ennuis avec votre frère ?
Si, sans doute, mais c’est le cadet de mes soucis.

 

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