DAJMA | Chapitre 51 – La Cité des secrets
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Chapitre 51 – La Cité des secrets

Personne ne me baise, même pas toi.
Valérie avait couché ses filles, examiné le doigt blessé de la cadette, dîné, fait la vaisselle, rangé la cuisine, fait une lessive, et s’était écroulée de fatigue devant une série fantastique avec des loups garous, quand elle entendit la clé tourner dans la serrure.
Ménard balança son blouson sur un fauteuil et se laissa tomber dans le canapé, à côté de sa femme. Il sentait l’alcool.
–  Si tu veux dîner, il y a de quoi, dit Valérie.
–  Je n’ai pas faim, dit-il. Je peux savoir ce que tu as fait aujourd’hui ? Valérie sentit son cœur rater un battement, mais elle afficha une mine impassible, légèrement ennuyée. Cela faisait longtemps qu’elle s’entrainait à avoir des réponses toujours prêtes.
– Des courses, dit-elle. Il fallait que je rachète un sac à dos pour Laura, et ils font des promotions en ce moment à Sport Plus.
D’un geste, elle désigna le sac qu’elle avait effectivement acheté, encore emballé.
–  Le problème, c’est qu’elle n’aime pas la couleur. Je vais le rendre demain et en prendre un noir. A moins que tu veuilles bien le faire, c’est juste à côté de ton travail.
–  Pas le temps.
Il prit la télécommande et éteignit la télé.
– Eh, je regardais ! protesta Valérie.
Elle voulut lui prendre la télécommande des mains, mais il la balança à travers la pièce. Le couvercle sauta et les piles tombèrent et roulèrent sur le carrelage.
– Mais ça va pas ? dit Valérie. Tu es dingue ?
Sans bouger de sa place, il tendit le bras et la gifla du bout des doigts. Elle fit un bond en arrière, et sentit sous la douleur ses yeux se remplir de larmes. Mais elle n’avait pas crié.
–  Avant de me traiter de dingue, dit-il, j’aimerais que tu me dises ce que tu as vraiment foutu aujourd’hui.
–  De quoi tu parles ? J’ai bossé, j’ai fait des courses… Il leva la main et elle l’affronta, sans bouger.
– Vas-y, frappe-moi encore, et je te jure que je vais déposer plainte dès demain dans ton commissariat.
Il se leva d’un bond, et elle se recroquevilla dans le canapé, mais il partit dans la cuisine et revint quelques instants plus tard avec une bouteille de 33Export décapsulée à la main. Il avala plusieurs gorgées et se posta devant elle, la surplombant de toute sa taille. Il portait toujours son étui à la ceinture, et elle voyait dépasser la crosse du pistolet automatique. D’habitude, il le déposait en arrivant dans le petit coffre à combinaison, mais là il avait oublié. Ou bien…?
– Je ne sais pas ce que tu magouilles, dit-il, espèce de garce. Je suis passée à ton boulot, tu n’étais pas là. Personne n’a voulu me dire ce que tu faisais. J’ai regardé le compteur de la voiture. Tu as fait trente kms aujourd’hui. Tu es allée où ? Voir ton amant ?
Il avait presque hurlé les derniers mots.
–  Chut ! Fit-elle, alarmée, tu veux réveiller les filles ?
–  Et alors ? Tu as peur de quoi ? Qu’elles apprennent que leur mère est une salope ?
Il se pencha sur elle en agitant sa bouteille de bière.
– Qui c’est ce type qui te baise ?
Il la saisit par le devant de son chemisier et tira d’un coup sec. Le tissu se déchira, et Valérie se débattit pour lui échapper. Elle réussit à se lever du canapé, mais il la rattrapa et la repoussa brutalement, la faisant tomber les quatre fers en l’air. Encore une fois, elle réussit à ne pas crier, malgré la douleur. Il la regardait en finissant sa bière, le visage déformé par un rictus de colère et de mépris. Il disparut dans la cuisine, et revint avec une autre bière. Il portait toujours son arme à la ceinture. Pourvu que ce fut un simple oubli.
Elle se redressa sans se lever, craignant qu’il ne la fasse tomber à nouveau. Mais comme il la regardait sans avancer sur elle, elle finit par se relever complètement et alla s’asseoir sur une chaise. Elle avait mal partout. Et surtout maintenant elle avait peur.
Sa violence à son égard était jusque là restée limitée. Cette fois, il lui semblait qu’il avait décidé de s’affranchir de ces limites. Et cette arme qu’il avait oublié de ranger…
Il la fixait, les yeux étrécis.
– C’est ta conne de sœur qui t’a monté la tête, c’est ça ? C’est depuis l’hôpital que t’as changé. Tu n’es plus la même.
Sans le savoir, il frôlait dangereusement la vérité. C’était vrai que quelque chose avait changé. Etait-ce sa rencontre avec Thomas Magnus qui avait concrétisé son désir de liberté ? Ou l’aveu de sa sœur ? Ou bien était-ce tout un ensemble de circonstances qui faisaient qu’elle ne pouvait plus supporter le carcan dans lequel elle vivait…
– Tu gamberges, là, hein ? dit-il en pointant la bouteille sur elle. Pour ce qui est de porter plainte, vas-y, tu verras comme tu seras reçue. Je vais donner des consignes, ils ne te laisseront même pas entrer !
Pures rodomontades, elle le savait, mais ce n’était pas le moment de le lui faire remarquer.
Brusquement, elle n’eut plus peur. Après tout, elle avait été kidnappée, menacée de mort par un présumé tueur, enfermée dans un coffre… Elle s’en était sortie sans dommage… Ce n’était pas ce flic de troisième ordre qui allait la terroriser.
–  Tu ne veux pas me dire qui te baise ? cracha-t-il.
–  Personne ne me baise, dit-elle. Même pas toi.
Valérie se leva, et se recoiffa rapidement devant la glace. Elle avait encore mal au dos, mais la douleur était en train de s’atténuer. Elle passa devant lui et entra à son tour dans la cuisine.
– Eh, où tu vas comme ça, je te cause ! dit-il dans son dos, mais il paraissait moins sûr de lui.
Elle avait la gorge desséchée. Elle se versa un verre d’eau au robinet et le but jusqu’à la dernière goutte.
Il se planta sur le seuil de la cuisine. Il paraissait incertain. La situation lui échappait.
Elle ouvrit le four et montra le plat dont il restait une bonne moitié.
–  Tu as faim ? dit-elle. Sinon, je le mets au frigo.
–  Qu’est-ce que c’est ? dit-il.
–  Un gratin dauphinois. Il y a aussi du jambon, si tu veux, ou je te fais griller des saucisses. Et je te fais une salade en accompagnement. Ça te va ?
–  Le jambon, ça ira.
Il s’assit devant les couverts propres qu’elle avait laissés sur la table.
La crise était passée. Elle le vit détourner le regard quand elle se dirigea vers lui. Il avait honte de lui avoir déchiré son chemisier.
Elle prépara la salade et la posa devant lui, pendant que le four chauffait.
Il posa la main sur sa hanche et elle lutta pour ne pas la repousser loin d’elle. Son haleine chargée en bière et tabac lui donnait envie de vomir. Qui était cette fille qui avait été amoureuse de lui, dix ans plus tôt ? Quel rapport la femme qu’elle était aujourd’hui avait avec cette jeune idiote ?
– Je crois que c’est chaud, dit-elle.
Elle posa le gratin devant lui avec une cuillère pour qu’il se serve, sortit les rouleaux de jambon du frigo et retira le plastique qui les recouvrait.
–  Tu as tout ce qu’il te faut ? dit-elle.
–  Oui.
–  Parfait. Bon appétit.
–  Qu’est-ce que tu fais ? dit-il en la voyant sortir de la cuisine.
–  Je vais me coucher.

 

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