DAJMA | Chapitre 49 – La Cité des secrets
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Chapitre 49 – La Cité des secrets

Du vieux sang absorbé par la pierre
Valérie se sentait extrêmement nerveuse. C’était la première fois qu’elle transgressait la loi, sciemment en tous cas. Et ce n’était pas une petite infraction qu’elle commettait. Elle risquait gros, si elle se faisait prendre. Grâce à son mari, elle connaissait même l’intitulé exact de son délit : recel de malfaiteur.
Elle avait trouvé un prétexte pour garder la voiture du ménage, mais curieusement, Laurent n’avait pas trop protesté.
Elle conduisait prudemment, ne dépassant jamais la vitesse autorisée, et du fait de sa nervosité, elle se trompa à deux reprises de route. Un moment donné, elle crut même qu’elle n’y arriverait jamais et faillit rebrousser chemin. Après tout, elle ne devait rien à Magnus. Mais il lui avait fait confiance, et c’était quelque chose qu’elle ne pouvait tenir pour négligeable. Sans compter que s’il ne lui avait pas menti, elle allait peut-être contribuer à réparer une injustice. Sans qu’elle se l’avoue vraiment, son mobile le plus fort était sans doute le plaisir transgressif qu’elle éprouvait à œuvrer contre son mari en venant en aide à la personne qu’il avait arrêtée.
Quand elle dénicha enfin la ruine derrière un rideau d’arbres et de haies, elle souffla de soulagement et alla se garer derrière un petit bâtiment en pierre, à l’abri des regards d’éventuels randonneurs.
Elle se campa au milieu de la cour envahie d’herbes folles, se demandant quelle famille avait pu vivre ici, et pourquoi ils avaient un jour décidé d’abandonner leur maison. Restaurée, la ferme aurait été une ravissante habitation. Elle-même aimerait vivre dans un tel endroit, un jour, tout en sachant que ce jour n’arriverait jamais.
Une silhouette parut au coin du bâtiment principal. Thomas Magnus. Il regarda autour de lui d’un air peu assuré, avant de la rejoindre.
– Je n’ai pas prévenu les flics, dit Valérie, si c’est à ça que vous pensez.
Il sourit, et elle se dit que ce tueur présumé ne manquait pas de charme quand il le voulait, malgré sa maigreur et son air traqué.
–  Je vous ai apporté à manger. Un sandwich, des œufs durs et une boisson au pamplemousse.
–  Je vous remercie, dit-il. Et Bruno Walmer ?
–  Il veut vous voir et vous parler.
–  Il va venir ?
–  Non. Pas maintenant en tous cas. Mais si vous voulez je vous emmène chez lui.
– Comme ça ? dit-il en regardant la voiture de Valérie. Et si on vous arrête ?
Elle haussa les épaules.
– Ça m’étonnerait, tous les flics me connaissent. Je suis mariée à un flic.
Il se demanda si elle se moquait de lui, et décida que non.
Il s’assit sur la margelle du vieux puits et commença à manger son sandwich. Il prenait de grandes bouchées, et les avalait presque sans les mâcher.
– Attention, vous allez vous étouffer, dit Valérie.
Il acquiesça sans cesser de manger et il se passa un moment avant qu’il lui adresse la parole.
– Que c’est bon, dit-il enfin. J’étais en train de mourir de faim. Merci. Il pointa le bout du sandwich vers la voiture.
–  Et si on se fait quand même contrôler ?
–  Si vous préférez, vous pouvez voyager dans le coffre. Ou attendre que
Walmer vienne vous voir, si vous acceptez que je lui donne votre adresse. Magnus ricana.
–  Mon adresse… Vous parlez d’une adresse ! Je n’ai jamais eu si froid de ma vie, et pourtant je suis habitué à dormir n’importe où… Mais ici, c’est sinistre, je crois bien qu’il s’est passé quelque chose d’horrible dans cette ferme. Il y a des traces… On dirait du vieux sang absorbé par la pierre, devant l’âtre de la cheminée. C’est peut-être un type qui a massacré toute sa famille avant de se pendre. Il reste même un vieux bout de corde, dans la grange, là-bas. Coupée à trente centimètres de la poutre quand on a décroché le corps. Oui, c’est certainement ça qui a du se passer. Un type viré de son boulot, qui rentre et surprend sa femme en train de baiser avec un militaire… Sur la table de la cuisine, près de la cheminée…
–  Pourquoi un militaire ?
–  Tenez, regardez ça.
Il exhiba un pin’s en cuivre abîmé.
–  On lit bien : …Iéme régiment d’infanterie. Si ça se trouve, c’était son beau-frère qui venait en permission la sauter !
–  Où vous avez trouvé ça ?
–  Dans l’âtre, entre deux pierres, à quelques dizaines de centimètres de là où le mari a achevé son propre frère, jeune et beau militaire, à coups de tisonnier, avant d’égorger son épouse infidèle… Valérie se mit à rire.
–  Arrêtez, c’est bon ! J’ai failli marcher.
–  Je n’invente rien. J’ai des dons de seconde vue… Valérie n’en crut rien, mais ne put s’empêcher de frissonner.
–  Quand il a tué les amants, il est monté et a tué ses deux enfants avec un grand couteau, on voit sur les marches les traces de ses pas, à la montée et à la descente, parce qu’il a marché dans le sang des victimes avant d’aller se pendre. Sur le mur aussi il y a des traces, là où il s’est appuyé avec sa paume pleine du sang de ses enfants.
–  Vous êtes dingue !
–  Vous êtes femme de flic et vous êtes prête à m’aider, et c’est moi qui suis dingue ? Vous voulez savoir ce que j’ai vu là-haut, dans les petites chambres ?
–  Non, je vous en prie !
–  Dommage…
–  Vous êtes vraiment sûr que ce n’est pas vous, le tueur du café du centre ?
–  Après cette nuit dans ces ruines sinistres, je ne suis plus sûr de rien.
Thomas Magnus soupira en jetant un regard alentour, et but au goulot quelques gorgées de jus de pamplemousse.
–  Je donnerais tout au monde pour un café double bien chaud. Je crois que je vais partir avec vous. Je préfère encore prendre le risque de me faire arrêter que de passer une autre nuit ici.
–  Vous voulez aller dans le coffre ?
–  Si ça ne vous fait rien, je préfère prendre le siège arrière. Je m’allongerai par terre quand vous entrerez en ville.
Valérie se gara à une centaine de mètres du commissariat, dans une petite rue où le passage était réduit, et attendit les instructions de Bruno.
Thomas Magnus était toujours couché à l’arrière, et par précaution, elle avait posé une vieille couverture sur sa tête et son buste.
Bruno la rappela dix minutes après leur arrêt.
–  Je viens vous chercher, dit-il. Indiquez-moi où vous vous trouvez exactement.
–  Rue Haute. A dix mètres du croisement avec l’avenue.
–  Parfait, j’arrive.
Elle raccrocha et rangea le portable dans sa poche.
–  C’est la minute de vérité, dit-elle à Thomas. Ça va, vous êtes toujours décidé à vous rendre ?
–  De toute façon, est-ce que j’ai le choix ? J’espère que Walmer est aussi bon qu’on le dit.
–  Je l’espère aussi pour vous. Il est très apprécié ici. On le considère comme quelqu’un qui défend des causes justes. Les gens vont se dire qu’il a de bonnes raisons pour vous représenter. C’est important pour votre procès.
Magnus grommela une réponse indistincte.
– Le voilà, dit Valérie en apercevant Bruno qui se dirigeait à pied vers eux. Vêtu de noir, comme d’habitude, il tenait une sacoche à la main, et une petite valise. Valérie sortit de voiture, et il la rejoignit.
– Bonjour, dit-il en lui serrant la main avec chaleur. Et merci pour tout, Valérie. Vous êtes une femme très courageuse.
Il ouvrit la portière de la voiture et Magnus se déplia et sortit en clignant des yeux. Les deux hommes se dévisagèrent sans se serrer la main.
– Vous êtes bien Thomas Magnus ? demanda Bruno. Thomas acquiesça.
–  Pourquoi me choisir ? demanda Bruno.
–  Parce que vous avez la réputation d’être le meilleur avocat de la région.
Et que vous n’aimez pas les Dolf, d’après ce que je sais. Ce qui laisse supposer que les Dolf ne vous ont pas acheté. Bruno sourit.
–  Vous acceptez de me défendre ? dit Thomas.
–  Oui, si vous vous montrez honnête avec moi. Si jamais j’ai le sentiment que vous me mentez, j’arrêterai et vous devrez vous trouver un autre avocat.
–  Ça marche, dit Thomas Magnus en tendant la main droite.
Bruno la lui serra.
–  Allons-y maintenant.
–  Je vous ai vu regarder votre montre, dit Thomas. Il y a une raison ?
–  Oui, je ne vois aucun inconvénient à ce que des témoins fiables assistent à votre reddition volontaire.
–  Je vais vous laisser, dit Valérie. J’ai fait ma part.
–  Merci, lui dit Thomas, et soudain, il la rejoignit et l’embrassa sur la joue.
Je n’oublierai pas ce que vous avez fait pour moi.
Valérie rougit et remonta en voiture. Elle regarda les deux hommes s’éloigner vers le commissariat. La petite valise était passée dans les mains de Magnus. La tête que va faire Laurent, songea Valérie. Dommage que je ne puisse pas voir ça.

 

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