DAJMA | Chapitre 48 – La Cité des secrets
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Chapitre 48 – La Cité des secrets

Si tu veux être dans les petits papiers des Dolf…
Je suis dans la merde, je suis dans la merde, se répétait en boucle Laurent Ménard, alors qu’il se dirigeait vers le studio de Muriel.
Il gara la voiture banalisée – plus discrète que la sienne – deux rues avant d’arriver, se coiffa d’une casquette de base-ball, mit des lunettes noires, emporta des gants en PVC et s’introduisit aussi discrètement que possible dans l’immeuble.
Une fois sur le palier, il enfila les gants et ouvrit la porte avec la clé que lui avait donnée Muriel.
Le petit appartement était dans le même état que quand il l’avait quitté, à cette différence près que la femme de ménage était déjà passée et avait changé les draps. Parfait. Il n’eut qu’à essuyer soigneusement les poignées de porte, les montants du lit, sans oublier la télécommande de la chaine et celle de la télé, les robinets du lavabo et du bidet et la tirette de la chasse d’eau. Dans la kitchenette, il essuya la poignée et le bord du frigo, et vérifia dans la machine à laver la vaisselle s’il y avait des verres sales qu’il aurait pu également toucher. Non, tout était nickel.
Il en profita pour faire une fouille rapide, sans rien trouver. Muriel ne laissait rien traîner ici.
Par acquit de conscience, il regarda aussi dans les poubelles de la salle de bain et de la cuisine. La femme de ménage avait bien fait son travail. Les deux étaient vides.
Il pouvait souffler, aucun indice compromettant ne le reliait à elle.
Après un dernier coup d’œil circulaire pour s’assurer qu’il n’avait rien oublié, il ouvrit la porte palière et se retrouva nez à nez avec Guillaume Kramer. Celui-ci le repoussa à l’intérieur du petit appartement et referma la porte derrière lui, avant même que Ménard fut revenu de sa surprise.
– Qu’est-ce que tu fous ici ?
Ménard hésita, mais ça ne servait à rien d’essayer de ruser avec Kramer.
–  Muriel a disparu. Elle a été enlevée.
–  Qui te l’a dit?
–  Nicolas Dolf.
–  OK. Maintenant, réfléchis bien avant de répondre. C’est un peu ton avenir que tu joues, pour ne pas dire plus. Est-ce que tu as une idée d’où elle est ?
–  Non, aucune.
Kramer le fixa en silence quelques instants.
–  On va dire que pour le moment je vais te croire. Il y en a certains qui pensent que tu as peut-être participé à cette combine. Tu as des arguments pour m’aider à les convaincre du contraire ?
–  De quoi tu parles ? dit Ménard. Quelle combine ?
–  Allez, ne te fais pas plus con que tu ne l’es. Cet enlèvement pue. Kaplan et son patron pensent que c’est Muriel qui a combiné tout ça, et comme tu es son amant…
Kramer était au courant. Ménard ne trouva pas la force de nier.
– D’accord, je couche avec elle. Mais putain, je ne suis pas complètement cinglé !
Kramer hocha la tête.
–  Bon. Moi non plus je ne te vois pas dans ce genre de plan. Dans ce cas, tu as une idée de qui ça peut être ? Qui lui tournait autour, à part toi ? Qui elle fréquente ? Tu sais si elle a d’autres amants ? Elle t’a dit si elle a reçu des menaces ? Elle ou son mari ? Elle t’a parlé de ses relations avec lui ? Est-ce qu’il est au courant de votre aventure ? Est-ce qu’il est jaloux ?
–  Stop ! dit Ménard en levant les mains. Je ne sais rien de sa life. Je venais ici pour qu’on s’envoie en l’air, pas pour qu’elle me raconte ses problèmes ! Et non, je ne crois pas que son mari était jaloux, sinon il l’aurait larguée depuis longtemps, vu le nombre de mecs qu’elle s’est envoyée. Et ça, ce n’est pas elle qui me l’a raconté, c’est de notoriété publique !
–  Ok, dit Kramer. Donc tu ne sais rien. Eh bien, si tu veux être dans les petits papiers des Dolf, il va falloir que ça change. Que tu remues ton cul et que tu ramènes des infos.
–  Je ne saurais même pas par où commencer !
–  Tu es flic, non ? Juste pour mémoire, le mec qui l’a enlevé, il avait un imper et un chapeau, exactement comme…
–  Thomas Magnus? acheva Ménard sur une note d’interrogation stupéfaite.
–  Exact. Dixit le mari, Philippe.
–  Tu crois que Magnus…?
–  Je ne crois rien. Mais le témoignage de Philippe, c’est tout ce qu’on a. Si jamais c’est un enlèvement bidon, ça veut dire qu’elle se planque quelque part. Un hôtel, une pension, une villa… A toi de trouver. Muriel est une vicieuse, mais ce n’est pas une délinquante professionnelle, elle a certainement commis plein d’erreurs et laissé des traces de son passage, si c’est elle le cerveau de ce plan débile. Commence par ses relevés de carte bancaire. Et les appels de son téléphone portable. Je ne vais pas t’apprendre ton boulot.
–  Pour que je demande des réquises, il faudrait que l’enquête démarre officiellement.
–  Tu es capitaine de police, oui ou merde ? Débrouille-toi. Pas question que quoi que ce soit transpire avec tes collègues. Pour l’instant, c’est l’affaire privée des Dolf. Et dès que tu as quelque chose, tu m’appelles. Dans la seconde. Moi et personne d’autre. Ok ?
Comme ça c’est toi qui aura toute la gloire, se dit Ménard. Mais avait-il le choix ?
– Ok.
Nicolas Dolf, Guillaume Kramer… Qui d’autre encore allait lui ordonner de rechercher Muriel clandestinement ?

 

Je m’en fous, je ne veux pas t’épouser.
Bruno retrouva Fanny à deux pas de chez Gaëlle, dans un coin du parc floral peu fréquenté, surtout à cette heure de la journée. Plus loin, un groupe de jardiniers étaient en train de rempoter des plantes près du mur couvert de chèvrefeuille et de vigne vierge, et ils s’assirent sur un banc disposé sous un abricotier d’argent vieux de plus de deux cents ans, gloire du parc, planté par un explorateur des mers du sud missionné par Louis XV.
–  Ça fait longtemps, dit Fanny.
–  On s’est vu hier, répondit Bruno.
–  Tu vois très bien ce que je veux dire. Ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vu en tête-à-tête ?
Bruno tourna la tête vers les jardiniers.
–  On a déjà parlé de tout ça, Fanny. Nous deux, ça ne fonctionnera jamais.
–  On n’a même pas essayé, dit-elle sur un ton amer.
–  Si, dit-il en souriant. Et c’est un de mes meilleurs souvenirs.
–  Dequoituaspeur?Quejefassedutortàtacarrière?
Il se tourna vers elle.
–  Franchement oui. On ne se fera pas de bien, ni toi à moi, ni moi à toi. On fait tous les deux partie de l’écologie de cette ville, on est tous les deux utiles ici, chacun à notre manière. Mais pas ensemble.
–  La maquerelle et l’avocat, c’est ça ? Tu crois que ça va faire peur à tes clients ?
–  Tu n’es pas une maquerelle. Ce que tu fais, d’après ce que j’ai compris, c’est un autre concept qui n’a pas vraiment de nom. Femme d’influence ?
–  Je suis une survivante, c’est tout. Et je ne fais de mal à personne.
–  Je sais. Je pense même que tu es une fille bien…
–  Mais pas assez bien pour toi.
Elle sentit les larmes lui monter aux yeux, et elle les refoula, exaspérée par cette faiblesse. Il lui prit soudain la main et la serra, mais elle se détourna en la retirant.
–  Arrête. En temps de guerre, je crois que tu es une des rares personnes à qui je ferais confiance.
–  On est en guerre.
Il parut surpris, puis sourit.
–  C’est vrai. Il y a une guerre ici. Une guerre souterraine. Et tout le monde fait semblant de ne pas être au courant. C’est ce que je dis, on se bat chacun à sa façon. Et je ne peux pas me permettre de t’avoir dans mon camp – en tous cas pas officiellement.
–  Je m’en fous, je ne veux pas t’épouser. On se cachera.
–  Fanny…
–  Comment elle s’appelle ?
–  Qui ça?
–  Ne me prends pas pour une idiote. Tu es amoureux, c’est ça ?
–  Non, il n’y a personne dans ma vie. Telle que je te connais, tu serais la première à le savoir.
–  La nouvelle venue, là, l’avocate, Marianne Bel, elle ne t’a pas tapé dans l’œil ? J’ai vu que tu la regardais, au cimetière. Il rit.
–  Elle me déteste.
–  Ah bon, pourquoi ?
Il ouvrit la bouche pour lui répondre, et s’interrompit.
–  Un secret que tu ne peux pas me dire ? Les secrets, je les collectionne, mais je les garde pour moi, tu sais bien.
–  Très bien, je vais te le dire, pour te prouver à quel point j’ai confiance en toi. Je vais sans doute défendre Thomas Magnus.
–  Le tueur ?
–  Le présumé tueur.
–  Eh bien…, dit-elle, essayant d’imaginer les conséquences de cette nouvelle. Elle n’a pas aimé ça à cause de sa belle-fille, je suppose. Tu prends des risques, avec ce dossier.
–  Eh oui. Tu vois, toi non plus tu n’as pas intérêt à ce qu’on nous voie trop ensemble.
Il lui sourit, et avec une surprenante douceur, l’embrassa sur le front. Fanny aurait voulu dire :
– Tu ne t’en tireras pas comme ça avec moi, mon amour, je n’ai pas dit mon dernier mot. On est fait l’un pour l’autre, même si tu es presque vieux et moi jeune et belle. Oublions un peu ces histoires de guerre, la vie est si courte, et ça pourrait être si bien nous deux ! Tu ne vois pas que toi et moi, c’est plus important que tout le reste ? Ouvre les yeux,
Bruno. Je t’en prie.
Puis elle se serait levée, penchée vers lui, et l’aurait embrassé tendrement sur la bouche.
– Réfléchis bien à ce que je viens de te dire. Tu comprendras que j’ai raison.
Et enfin elle lui aurait tourné le dos et se serait éloignée en balançant ses fesses rondes, sans un regard en arrière.
Elle ne fit rien de tout cela. Elle lui sourit comme si de rien n’était et se leva.
– Méfie-toi quand même des Bel, aussi bien d’Aurélie que de Marianne, ce sont des salopes.
Il hocha la tête, réservant son jugement.
–  A une prochaine fois ? dit-elle.
–  A une prochaine fois, Fanny.
Elle se détourna et s’éloigna, le pas raide. Pourquoi ne pouvait-elle vraiment lui dire ce qu’elle avait sur le cœur ? Pourquoi l’intimidait-il tellement, elle que rien ni personne n’avait jamais réussi à impressionner ? Elle prit une profonde inspiration, et son soupir ressemblait à un sanglot. Jamais il ne serait à elle. Il fallait qu’elle tire un trait. Elle était assez forte pour ça.

 

 

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