DAJMA | Chapitre 47 – La Cité des secrets
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Chapitre 47 – La Cité des secrets

On ne voudrait pas qu’il arrive quelque chose à notre chère Muriel
En arrivant chez lui, Philippe Dolf resta quelques minutes au volant de son 4X4 avant de se décider à en descendre. La petite voiture rouge de sa femme était garée un peu plus loin, à l’angle de la maison. Elle n’avait pas bougé de là depuis l’enlèvement de Muriel.
Il entra, s’attendant presque à la voir surgir avec sa moue ironique. « C’était une blague, je t’ai bien eu mon chéri ».
Mais non, c’est le silence d’une maison vide qui l’accueillit. Muriel avait vraiment disparu, et il avait lâchement obéi à ses frères en s’abstenant de déclarer l’agression à la police. Vivait-elle encore ? Si oui, où était-elle ? Quel mobile pouvait expliquer cette agression et ce rapt insensés ?
Il n’avait pas eu besoin que Jean-Claude le lui dise pour comprendre où allaient les soupçons de son frère aîné. Mais lui, il n’arrivait pas à la croire coupable. Muriel était fantasque, infidèle, provocatrice… Mais elle n’était pas calculatrice. Elle profitait de l’argent des Dolf, mais elle ne se ferait pas enlever pour leur soutirer une rançon. Malgré tous ses défauts, elle n’était pas idiote, et elle savait que ce genre de plan absurde se retourne généralement contre leurs auteurs… A moins qu’elle se soit laissée influencer par un amant voyou aussi cupide que stupide ? Bien sûr, ce n’était pas impossible, mais… Tant qu’on ne lui en aurait pas donné la preuve, il n’y croirait pas.
Philippe se versa un whisky, et s’allongea avec un profond soupir sur le plus grand canapé du salon, la télécommande de la télé à la main.
Il appuya sur un bouton et un panneau de bois se leva, laissant apparaître un écran de bonne dimension.
Il zappa jusqu’à tomber sur une chaine d’infos, et resta les yeux fixés sur les images, à voir et entendre sans vraiment regarder ni écouter, la litanie des malheurs qui s’étaient abattus sur le monde dans les dernières 24 heures.
Il éteignit l’écran, se releva et alla consulter le courrier déposé dans son bureau par la femme de ménage.
Aucune lettre ne ressemblait à une demande de rançon.
A cette heure-ci généralement, quoi qu’elle ait fait de sa journée, Muriel le rejoignait. Elle lui livrait une version sans doute expurgée de ses occupations, mais jamais inintéressante. Ses descriptions étaient colorées, et teintées d’humour. Muriel avait de l’esprit. Même si elle l’exaspérait souvent, il ne s’ennuyait pas avec elle. En fait, elle lui manquait. Comment réagirait-il si elle ne devait jamais revenir ? Serait-il triste ? Oui, probablement. Aurait-il des remords de l’avoir laissée tomber ? Oui, aussi.
Il ouvrit le frigo, cherchant quelque chose à grignoter. Il trouva du fromage et une boîte de foie gras de canard. Il fit griller du pain tranché trouvé dans le garde-manger, et se prépara un petit en-cas, qu’il accompagna d’un verre de Bordeaux. Il posa le tout sur un plateau et regagna le salon et son canapé. Il avait faim, mais l’image de Muriel violée et assassinée, gisant au fond d’un trou, vint le troubler et l’empêcha de jouir pleinement de son dîner de célibataire. Pourtant, si on allait au fond des choses… Il n’aimait plus Muriel. Il pensait depuis longtemps au divorce, et s’il avait reculé jusqu’à présent, c’était beaucoup par peur du partage et des compensations financières qui accompagneraient leur séparation. Si Muriel ne reparaissait pas, pas de compensations… C’était peut-être très mesquin, mais il tenait plus que tout à sa maison, qu’il avait entièrement restauré lui-même. Et s’ils se séparaient, il serait sans doute obligé de la vendre. Bien sûr il y avait d’autres maisons à restaurer, et il serait à nouveau libre comme l’air. Il ne commettrait pas une deuxième fois l’erreur de se marier. Ce qui arrivait à sa femme était tragique, mais après tout, elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle : c’est elle qui fricotait avec n’importe qui, et s’il lui était arrivé malheur, c’était sans doute à cause de ses mauvaises fréquentations. Cela ne serait sans doute venu à l’idée de personne d’enlever Anne, la femme de son frère Samuel.
Quand son téléphone sonna, il était si profondément plongé dans ses pensées qu’il sursauta, le cœur battant.
Sur l’écran, il reconnut aussitôt le numéro, et décrocha.
–  Des nouvelles ? demanda Jean-Claude.
–  De Muriel ?
–  De qui d’autre veux-tu ?
Jean-Claude s’était abstenu d’ajouter « imbécile », mais le ton y était.
–  Pas de nouvelles, dit Philippe. Je t’aurais prévenu.
–  Ouais. Tu en as parlé à quelqu’un ?
–  Non.
–  Parfait, continue comme ça. On ne voudrait pas qu’il arrive quelque chose à notre chère belle-sœur, ses ravisseurs ont été très clairs. Si on parle, ils la tuent.
–  Mais… Commença à protester Philippe.
–  C’est bien ce qu’ils t’ont dit, non ?
Philippe comprit l’intention de son frère. Au cas improbable où la conversation serait écoutée par les ennemis des Dolf, il leur prouvait que le silence de la famille n’avait qu’un objectif : protéger la victime raptée…
– …Oui, dit faiblement Philippe.
Jean-Claude raccrocha.
Philippe resta prostré un moment, puis sa main se tendit à nouveau vers le téléphone. Il avait déjà eu affaire à la commissaire Sophie Heider dans le cadre professionnel, et son numéro de portable était enregistré. Il appuya sur le numéro et coupa aussitôt la communication, avant la première sonnerie. Qu’est-ce qui lui prenait de vouloir appeler la police ? Il était devenu fou ?
Il se leva et fit les cent pas. Il se sentait étouffer. Il rafla ses clés, sortit de la maison, monta dans le 4X4 et démarra, sans savoir où il allait.

 

C’est toi le flic
Ménard était garé derrière la salle de sport de Fanny, sur une petite place interdite à la circulation le week-end pour cause de marché, à un des deux emplacements réservés aux handicapés. Privilège de la police.
La Porsche de Nicolas Dolf apparut et vint se garer de façon à ce que les deux conducteurs soient l’un à côté de l’autre et en vis-à-vis. Nicolas avait observé ce manège dans une série policière américaine et il trouvait ça cool.
Les deux hommes baissèrent leur vitre. Nicolas était obligé de lever la tête, et Ménard obligé de se pencher en avant, un peu comme un conducteur qui aurait voulu vomir sans tâcher la carrosserie de sa voiture, la Porsche étant beaucoup plus basse que le break du flic.
–  J’ai parlé de toi à mon oncle, dit Nicolas. Il a des doutes sur ta fiabilité.
–  Merde, dit Laurent Ménard. Qu’est-ce qu’il me reproche ?
–  Rien, c’est juste qu’il ne te connait pas comme je te connais.
–  Et si tu nous présentais ?
–  Ça ne servirait à rien. Il y a mieux à faire.
–  Quoi?
–  Retrouve Muriel.
–  Quoi?
–  Elle a disparu.
–  Quoi?
Le dernier « quoi ? » était presque hurlé.
–  Elle a été enlevée.
–  Merde ! Mais comment…?
–  Elle a été enlevée chez elle devant son mari. Il ne peut pas porter plainte sinon elle risque de se faire buter. Il faut agir discrètement. Même ta hiérarchie ne doit pas être mise au courant.
–  Putain…
Ménard se sentit écrasé par la responsabilité induite de ce qu’il venait d’apprendre. Cacher un tel fait à sa hiérarchie lui vaudrait la révocation si on l’apprenait. Il regarda Nicolas qui lui souriait, content de lui. Le fils à papa venait de lui faire un cadeau empoisonné dont il se serait bien passé.
– Retrouve-la, et tu seras dans les petits papiers de mon oncle, dit Nicolas. Ménard le regarda, sidéré.
–  Tu es sérieux ?
–  Evidemment que je suis sérieux.
– Et comment je fais, pour la retrouver ? Surtout si je n’ai le droit de parler à personne ! Tu peux me le dire ?
Nicolas haussa les épaules, indifférent.- C’est toi le flic.
L’impact de l’événement – le rapt de Muriel – se propageait comme une onde à travers les différentes strates de la Cité, du sommet à la base, modifiant déjà les destins et provoquant d’autres ondes, qui en provoqueraient encore d’autres. Etait-ce prévu par celui ou ceux qui avaient enlevé la femme de Philippe Dolf ? Quel était leur but ?

 

 

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