DAJMA | Chapitre 46 – La Cité des secrets
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Chapitre 46 – La Cité des secrets

L’amour est le meilleur véhicule de la trahison.
Fanny Gillardi n’avait aucune confiance dans les ordinateurs et dans internet, elle se méfiait de tous ces miracles électroniques et numériques contemporains. La page Facebook, dont aucune entreprise ne pouvait plus se passer, était limitée chez elle à des infos professionnelles, et aucune photo, aucune confidence la concernant elle ou ses proches n’y était affichée.
Bien sûr, la comptabilité de sa salle de sport, les salaires de ses coaches, les fiches clients, etc, étaient gérées par ordinateur, lui-même relié au réseau, mais tout ce qui touchait à sa seconde activité, celle qui lui prenait la moitié de son temps, celle qui lui avait permis d’arriver là où elle en était – c’est à dire bien plus loin que la fillette laissée à elle-même pouvait espérer un jour aller, restait à l’écart de toute machine électronique.
Ce qu’elle voulait conserver, ce dont elle voulait se souvenir, témoignages, noms, lieux, dates, était reporté de son écriture serrée et précise sur des petits carnets à dos noir, rangés dans un coffre fort Fichet qu’elle avait acheté une petite fortune, lui-même dissimulé derrière une trappe invisible de son appartement.
Dans ces carnets se dissimulaient toutes les turpitudes de la ville. Fanny était trop maligne pour se servir des infos qu’elle collectait ainsi à des fins de chantage. Mais elle avait découvert très tôt que connaître les secrets des gens lui permettait de prévoir leurs actions et leurs réactions. Et quand il s’agissait de détenteurs d’une parcelle de pouvoir – magistrats, politiques, policiers, etc – ses connaissances, utilisées à bon escient, lui fournissaient un formidable levier. Elle avait la faculté de savoir à qui, comment, et quand rendre service, et cela la rendait incontournable. C’est comme cela qu’elle avait rendu un signalé service au clan Dolf en neutralisant le chef de file de la liste FN aux précédentes municipales.
Agnès Rameau, esthéticienne et maîtresse du maire Samuel Dolf – entre autres, était l’une de ses meilleures informatrices.
Agnès, comme Frédéric Gorineau, devait tout à Fanny : l’argent qui lui avait permis d’acheter sa boutique d’esthéticienne, les conseils de sa protectrice, et son carnet d’adresse qui lui avait permis d’avoir dès le début les meilleurs clients, avec le mode d’emploi sur la façon de les traiter.
Les deux femmes étaient installées dans le petit salon noir et blanc de Fanny.- Il y a une merde chez les Dolf, dit Fanny. Ça bouge de partout en ville. Je suis un peu inquiète. Tu as parlé avec Samuel ?
– Pas vraiment, mais il est nerveux. C’est logique, il a beaucoup de problèmes, surtout depuis le 18 mars.
–  Non, c’est autre chose, je le sens, mais je n’arrive pas à savoir quoi. Le clan serre les rangs. Il faudrait que tu fasses parler le maire.
–  Plus facile à dire qu’à faire. Hier après le cimetière, on devait aller dîner et il a annulé son rendez-vous avec moi, ce qu’il ne fait jamais.
–  J’étais au cimetière, moi aussi, dit Fanny. J’ai ouvert grand les yeux et les oreilles. Pour rien.
Elle passa sous silence la présence de Bruno Walmer et leur échange. Les infos entre Agnès et elle, ne circulaient que dans un sens.
– Les Dolf étaient tous là ?
– Non, maintenant que tu me le dis, il manquait une pièce rapportée : La femme de Philippe Dolf, Muriel.
– Ça ne veut pas dire grand chose, elle devait être avec un de ses amants.
Il paraît que les gens du Puiseux vont déposer une nouvelle plainte, dit
Agnès. C’est peut-être ça qui rend les Dolf nerveux.
– Je ne crois pas, non. Ils en ont vu d’autres. Au fait… Le dernier en date des amants de Muriel, c’est Laurent Ménard, dit Fanny, revenant au sujet précédent.
– Un sale con pour ce que j’en sais.
– J’aimerais que tu deviennes copine avec lui.
– Je n’aime pas les flics.
– Je ne te demande pas de devenir amoureuse, c’est du boulot.
– Tu penses qu’il y a un lézard du côté de Muriel ?
– Je ne sais pas. Ça ne coûte rien de vérifier. Ménard vient s’entraîner et draguer ici. Il arrive généralement tôt le matin – quand il n’a pas trop bu la veille, ou en fin de journée, à 19 heures, pour éviter de rentrer chez lui. Passe le soir ou le matin tôt. Mets une tenue sexy et souris-lui, ça va suffire pour le faire décoller.
Agnès fit la grimace.
–  Tu ne vas pas le regretter, dit Fanny, c’est important d’avoir un flic dans ses relations, il peut t’arranger pas mal de coups.
–  Je ne l’aime pas, répéta Agnès. Et pour arranger mes coups, coucher avec le maire ce n’est pas mal non plus.
–  Tu trouves Ménard pire que Samuel ?
–  Oui, au moins Samuel, lui, a de la classe et il est généreux. Ménard a une réputation de brute et de radin.
Fanny se dit qu’il était temps de mettre les pendules à l’heure.
– Je sais que ce n’est pas le prince charmant. Chaque fois qu’il doit renouveler son abonnement, ce sont des discussions sans fin. Mais juste pour que les choses soient claires, je te répète que je ne te demande pas de l’épouser. Je te demande de te le mettre dans la poche, point. Si tu y arrives sans coucher, tant mieux pour toi. Mais ça m’étonnerait.
Agnès voulut répondre, mais Fanny était bien lancée.
– Tes états d’âme, tu te les gardes, ma cocotte. Tu as la mémoire courte, non ? Tu me dois toujours quatre-vingt mille euros pour ta boutique, je ne t’emmerde pas pour les remboursements, parce qu’on a un deal, toutes les deux. Oui ou non ?
Agnès rougit, mais acquiesça.
–  Oui.
–  Et on ne peut pas dire que je suis chiante. Vivre et laisser vivre, c’est ma devise. Mais tu fais partie d’une équipe, de mon équipe, et tu dois faire ta part du boulot. Je t’assure que ce n’est pas toi qui a la part la plus dure. Je t’ai financée, je t’ai trouvé un bon pas-de-porte, des clients. Elle marche bien, ta boutique, oui ou non ?
–  Oui.
–  Alors on est d’accord pour Ménard ?
–  Oui.
Fanny sourit soudain largement.
– Allez, c’est bon, ne fais pas cette tête.
Agnès sourit à son tour, d’un sourire un peu moins large et naturel, mais c’était quand même un sourire.
– Je préfère ça, dit Fanny. Si tu étais amoureuse de quelqu’un, je pourrais comprendre… Mais tu as le cœur libre, non ?
Agnès sourit sans répondre. Fanny se demanda s’il était-il possible qu’elle soit tombée amoureuse de Samuel Dolf, ce pantin alcoolique, homme de paille de son frère ? Elle espérait bien que non. Les conséquences pourraient se révéler catastrophiques, y compris pour elle-même. L’amour est le meilleur véhicule de la trahison.

 

Ok Fanny, c’est bon, j’ai compris
En sortant de chez Fanny, Agnès alla dans le petit magasin de sportswear qui se trouvait presque en face de la salle de sport. Elle décrocha plusieurs tenues et les regarda dans la lumière, près de la vitrine.
D’habitude, Fanny la retenait un peu pour parler d’autres choses, lui montrait ses dernières acquisitions… Cette fois, elle avait l’air d’être pressée qu’Agnès s’en aille. Il devait y avoir une raison.
La raison ne tarda pas à se manifester. Agnès reconnut la silhouette nerveuse et le profil aigu de Guillaume Kramer, le flic en chef de la mairie. L’homme tapa rapidement un code, s’engouffra dans l’entrée de l’immeuble, juste à côté de l’entrée de la salle, et la porte se referma sur lui.
Ok Fanny, c’est bon, j’ai compris, se dit Agnès. Toi tu te tapes Guillaume, et moi je dois me taper un sous-fifre. Moi je travaille pour toi, et toi tu travailles pour qui ? Pour Fanny seulement, ou pour quelqu’un d’autre ? En tous cas tu as forcément une idée en tête, et je me demande bien ce que c’est.

 

 

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