DAJMA | Chapitre 45 – La Cité des secrets
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Chapitre 45 – La Cité des secrets

Marianne avait senti venir la réponse. Elle fit une grimace mais ne dit rien.
–  J’ai découvert qu’il l’a achetée en 1982 et l’a louée à la COGEMA pour qu’elle y enfouisse des déchets de l’industrie minière, dit Gaëlle. Normalement, quand on finit d’exploiter une mine d’uranium, on la recouvre de ce qu’ils appellent des stériles, c’est-à-dire de l’argile qui empêche l’érosion, la dispersion de la terre radioactive, et l’émission de radon… Tu vois, j’ai bien appris ma leçon. Mais en ce qui concernait les dépôts sauvages, il n’y a pas eu de contrôles… Et mon père n’a rien fait.
–  Et elle lui appartient toujours ?
–  En partie seulement. Il a gardé la carrière. Il a revendu tout le bas du terrain, une centaine d’hectares, pour le faire lotir par le groupe Dolf.
Qui en est toujours propriétaire.
–  Dolf et Bouchard… dit Marianne. Et pourtant ils se détestent depuis toujours.
–  Ils se détestent, mais ils ont aussi toujours fait des affaires ensemble. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas ce qu’il y a entre eux, mais ce qui les unit est plus important que leur haine… Je me demande ce que ça peut être… Et ça me fait peur, ajouta-t-elle.
Marianne lui prit la main.
–  C’est normal, c’est quand même ton père.
–  Non, je n’ai pas peur pour lui, j’ai peur de lui et de ce qu’il peut faire avec les Dolf, dit Gaëlle.
Marianne accentua sa pression sur la petite main de Gaëlle, mais ne dit rien.
–  Je te montre cet endroit, poursuivit celle-ci, parce que c’est devenu un lieu emblématique de ce qui se passe ici, mais malheureusement je suis sûre – comme Bruno – que les preuves ont disparu depuis longtemps, que les fûts qui contenaient les résidus dangereux ont été transportés ailleurs, et personne ne sait où évidemment. Et sauf miracle, personne ne saura jamais où.
–  Personne ne les a vus, ces fûts, ni photographiés ?
–  Si, une association écolo les a photographiés avant qu’ils soient déménagés, c’est après ça que la carrière a été entourée de cette barrière et les fûts dispersés ailleurs, mais des photos, ce n’est pas une preuve très solide, et même les témoins qui ont vu les fûts… Tu sais ce que c’est. On trouvera toujours d’autres témoins pour dire le contraire.
–  Peut-être, mais la radioactivité ça ne s’en va pas comme ça. Toute la roche autour doit être contaminée…
–  Oui, bien sûr. Mais qui peut prouver que ce n’est pas de la radioactivité naturelle, ou de quand ça date ? Le poison s’est disséminé dans la roche et dans l’eau, et il reste certainement des traces des résidus, mais là, on en revient à des batailles d’experts qui peuvent durer des années, d’autant que les archives de la Cogema sont inaccessibles, que mon père et Dolf ont dû prendre toutes les précautions pour ne pas laisser de traces comptables… Pendant ce temps là, les cancers progressent dans le lotissement. Et ni mon père ni les Dolf ne sont prêts à reloger gratuitement les gens et à les indemniser.
–  Ça paraît mal barré, votre affaire.
–  Oui. Mais Walmer a quand même bon espoir d’arriver un jour à les faire condamner.
–  Il t’a parlé de sa stratégie ?
–  Non. Je ne suis même pas sûre qu’il en ait déjà une.
–  J’ai cru comprendre qu’il voulait tenter une action collective.
–  Parce qu’il rencontre souvent les associations concernées ? On sait bien que même si les actions collectives commencent à être autorisées en France, elles sont toujours limitées aux préjudices matériels. La loi de 2013 revisitée par le Sénat, exclut les dommages corporels et les préjudices moraux… Ce qui la rend inopérante.
–  Donc, il va devoir trouver un biais si il veut que l’association des habitants du Puiseux puisse se retourner contre les Dolf… Ça promet une belle bataille juridique, mais je pense que ce n’est pas impossible…
–  Tu veux dire que tu te joindrais quand même à nous ? dit Gaëlle. Marianne sourit. Le problème, quand on est face à quelqu’un privé de vue, c’est qu’une simple mimique ne suffit pas pour s’exprimer.
–  Tu ne réponds pas ? insista Gaëlle.
–  Je vais y réfléchir.

 

Ménard me paraît un bon candidat comme complice
Kaplan avait convoqué Kramer dans le petit bureau qu’il occupait à l’étage au dessus de celui de son patron, dans les combes. Un bureau fonctionnel, muni d’un téléphone, d’une télévision, d’un ordinateur et d’une armoire en acier à combinaison. Pas de photos ni de tableaux au mur, mais une bibliothèque solide d’ouvrages de droit.
Kramer était resté debout. Il n’y avait pas d’autre fauteuil que celui de Kaplan dans la pièce. Ce dernier se trouvait près de la lucarne ouverte, qui donnait sur la cour où étaient garées une dizaine de voitures.
–  Aucune trace de Muriel, dit Kramer.
–  Vous savez que le capitaine Ménard est son amant, dit Kaplan.
Kramer hocha la tête, cachant sa surprise. Comment Kaplan avait-il pu découvrir ça ? Lui-même ne l’avait su que parce qu’il avait pour tâche de veiller au grain, pour tout ce qui concernait les Dolf. Un an plus tôt, Kaplan lui avait demandé d’avoir particulièrement à l’œil Muriel, au cas où ses frasques deviendraient trop gênantes pour le clan. Kramer avait donc fait installer une mini caméra de surveillance sur le palier de Muriel, braquée sur l’entrée. Mais jamais il n’en avait parlé à personne, pas plus que des renseignements qu’il en avait tirés.
–  Le patron pense que c’est Muriel qui a monté le coup, poursuivit Kaplan. Pour ma part je n’en suis pas si sûr, mais il ne faut négliger aucune éventualité. En tous cas, si c’est bien elle, elle n’a pas pu le faire seule, et Ménard me paraît un bon candidat comme complice.
–  Ce n’est pas la moralité qui l’étouffe mais ça m’étonnerait, dit Kramer, ce genre de plan foireux rate à tous les coups.
Il se tut, réfléchissant encore.
–  En tous cas, on ne risque rien à vérifier.
–  Et même s’il n’est pas dans le coup…
–  Je lui mets la pression.
Exactement.

 

 

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