DAJMA | Chapitre 43 – La Cité des Secrets
17299
post-template-default,single,single-post,postid-17299,single-format-standard,woocommerce-no-js,ajax_fade,page_not_loaded,,qode-title-hidden,qode_grid_1200,hide_top_bar_on_mobile_header,columns-3,qode-theme-ver-16.8,qode-theme-bridge,disabled_footer_top,wpb-js-composer js-comp-ver-5.5.2,vc_responsive

Chapitre 43 – La Cité des Secrets

Vivre sur une île déserte
La réunion avait lieu dans une petite salle prêtée par le syndicat du personnel soignant, au rez-de-chaussée de l’aile ouest, près des cuisines et de la cantine. C’était une salle carrée aux murs peints en vert couverts d’affiches plus ou moins à jour, et de panneaux de liège. Le mobilier était succinct et peu attrayant : Deux armoires métalliques grises fermées à clé, et un petit bureau du même métal poussé contre le mur pour l’occasion.
Une douzaine de chaises disposées en cercle occupaient la plus grande partie de l’espace, et elles étaient toutes utilisées.
Il y avait là Gaëlle Bouchard, Estelle et sa grande sœur Valérie, Aurélien, un jeune homme très pâle qui portait un bandage autour de la tête, son frère aîné Frédéric Gorineau, coiffeur vedette dans le plus beau salon de la ville et moniteur de tennis à ses heures, une psychologue rondouillarde aux cheveux gris longs et frisés, ainsi que trois autres victimes survivantes du café du centre accompagnées de leurs proches.
Dans le silence s’élevait la voix fluette d’une jeune femme qui disait qu’elle ne dormait plus, et ne pourrait plus jamais dormir tranquille tant que Thomas Magnus ne serait pas retrouvé, et que même alors, elle aurait toujours peur du jour où il ressortirait de prison.
Quand elle se tut, la psychologue regarda ses patients, par dessus ses lunettes.
– Nous remercions Marie pour son témoignage. Quelqu’un d’autre veut prendre la parole ?
Il y eut divers mouvements, et Valérie se racla la gorge.
–  Je m’appelle Valérie. Je ne fais pas partie des victimes, mais si vous permettez, j’aimerais dire quelque chose…
–  Mais bien sûr Valérie. Tout le monde ici a le droit de dire ce qu’il veut.
–  Merci… Je comprends ce que vient de dire, euh, Marie, mais je voudrais quand même lui dire que rien ne prouve pour le moment que ce Thomas
Magnus est coupable.
Les regards qu’elle croisa autour d’elle lui parurent indifférents ou hostiles, mais il n’y eut pas de protestation manifeste.
–  Hum, reprit la psy, vous avez raison de souligner, Valérie, que toute personne est présumée innocente…
–  Et c’est pour ça qu’il s’est enfui en tuant un gardien ? s’exclama une autre femme, assise à côté de Marie.
–  Aucun gardien n’a été tué ! dit Valérie.
–  Ça, c’est pas faute d’avoir essayé ! Vous défendez un drogué qui tue des gens et blesse des innocents, c’est ça ?
–  Je ne défends personne, je ne suis pas avocate ! dit sèchement Valérie.
–  Je suis d’accord avec ma sœur, déclara soudain Estelle. Moi, ce n’est pas ce Magnus qui m’a blessée, mais quelqu’un qui m’a flanqué par terre et qui m’a marché dessus ! El la plupart des blessés, c’est pareil, ce qui leur est arrivé, c’est à cause de la panique et la bêtise des gens.
–  Moi c’est le tueur qui m’a frappée, dit calmement Gaëlle.
Elle n’ajouta rien et personne ne reprit la parole la parole après elle. Au bout de vingt secondes, la psy rompit le silence.
–  Pouvez-vous vous présenter ?
–  Je m’appelle Gaëlle et je suis avocate. Enfin, j’étais avocate jusqu’à présent, je vais m’efforcer de continuer à pratiquer mon métier, même si cela est difficile, car je ne vois plus. Elle se tut et le silence retomba.
–  Merci Gaëlle, dit enfin la psychologue. Voulez-vous ajouter quelque chose ?
–  Oui. Je suis d’accord avec Valérie. Pour l’instant, personne ne peut dire avec certitude qui est l’assassin, pas plus qu’on ne connaît les raisons pour lesquelles on a tiré sur ces deux personnes. Tout ce qu’on peut dire, c’est que Thomas Magnus, coupable ou innocent, n’est pas seul. Il a bien fallu un ou des complices pour l’aider à sortir de l’hôpital. Et pour le cacher ensuite.
–  Vous avez vu le visage de celui qui vous a blessée ? dit Valérie.
–  Non. Mais il tenait un gros pistolet à la main et c’est avec ce pistolet qu’il m’a frappée. Elle indiqua sa tempe.
–  Moi aussi j’aimerais qu’il soit mis en prison et condamné, mais je n’ai pas peur de lui. Ce n’est pas à moi qu’il en voulait. Sinon, il m’aurait tuée aussi. D’après ce que j’ai entendu dire, il avait deux pistolets, avec des chargeurs de 16 balles… Il aurait pu tuer au moins trente personnes s’il en avait eu envie.
–  Mon frère était au mauvais endroit au mauvais moment, dit Frédéric, le coiffeur. Lui aussi a été piétiné par la foule. Moi, je suis comme Estelle, la foule me fait plus peur que ce tueur.
Il y eut un concert d’assentiment.
–  Moi j’ai peur des gens, dit une voix de jeune garçon.
–  Jonathan, c’est toi qui a dit ça ? fit la psychologue.
Le garçon hocha la tête.
–  Tu peux te présenter, s’il te plaît ?
–  Jonathan, 6ème B.
Il y eut quelques rires, vite étouffés.
–  Tu pourrais nous préciser ta pensée, Jonathan?
–  Tout ce que je voulais dire c’est qu’on ne sait jamais de quoi les gens sont capables. On voit quelqu’un entrer dans un café, ou une école, ou dans une poste, ou dans un train… Et qu’est-ce qui nous dit qu’il ne va pas sortir une arme de sa poche et tirer sur tout ce qui bouge ? Moi je sais que si je pouvais je ne sortirais plus jamais de chez moi.
–  Alors autant se tirer une balle, dit Aurélien, le jeune frère du coiffeur. Moi, dès que je sors de l’hosto, je vais en boîte !
Quelques rires suivirent. Deux autres personnes voulurent intervenir.
–  Attendez, attendez ! dit la psychologue. Pas tous à la fois s’il vous plaît. Je voudrais que Jonathan nous dise ce qui pourrait contribuer à le rassurer et lui faire envisager l’avenir avec plus de sérénité.
–  Vivre sur une île déserte, dit Jonathan.
A la sortie de la réunion, Frédéric rejoignit Valérie.
– J’ai bien aimé ce que vous avez dit, remarqua-t-il. C’était gonflé.
Elle lui sourit. Elle trouvait qu’il se la pétait un peu, avec ses cheveux bouclés et sa chaine autour du cou, mais son sourire était contagieux.
–  Moi, celle que j’ai bien aimé, c’est elle, répondit-elle en montrant Gaëlle qui s’éloignait, guidée par la psychologue, vers un taxi.
–  Vous avez une raison particulière de douter de l’innocence de ce Magnus, ou c’est par principe ?
Elle lui lança un regard soupçonneux, comme s’il avait émis une incongruité.
– Par principe, dit-elle sèchement. Excusez-moi.
Elle se mit à courir vers le taxi, mais c’était trop tard, celui-ci avait déjà démarré et s’éloignait.
Frédéric la regarda, songeur. Elle l’intriguait. Son téléphone sonna et il décrocha.
–  Je reviens de l’enterrement, dit Fanny Gillardi. Ce serait bien que tu passes.
–  Au club ?
–  Non, chez moi, je vais prendre une douche et me changer.
–  Normalement, je dois retourner à la boutique, dit-il.
–  Eh bien tu n’as qu’à prévenir que tu as un rendez-vous chez ton banquier. C’est un peu ça, non ?
Ok Fanny, soupira-t-il, tu sais toujours trouver les mots qu’il faut.

 

Voir la version PDF