DAJMA | Chapitre 41 – La Cité des Secrets
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Chapitre 41 – La Cité des Secrets

L’ennemi dans la maison
Pour la première fois de sa vie sans doute, Philippe Dolf était le focus de la réunion familiale. Tous les regards étaient tournés vers lui, mais il n’y lisait que peu de compassion : Surprise, curiosité, agacement, incompréhension. Tels étaient les sentiments dominants, il devait se rendre à l’évidence. Etaient présents autour de lui, dans le bureau de la place Jeanne d’Arc, Jean- Claude, Samuel, Kaplan, Kramer. C’était Kramer – l’ancien flic professionnel – qui menait l’interrogatoire, car il s’agissait bien d’un interrogatoire. Le chef du clan Dolf avait exigé le secret absolu. Pas question de prévenir les flics tant qu’on n’en savait pas plus, d’autant que le message glissé dans la poche poitrine de la veste de Philippe était très clair : « Vous prévenez la police – ou qui que ce soit – elle meurt ».
Jean-Claude avait estimé que Kaplan et Kramer ne pouvaient être frappés par cet interdit.
Jean-Claude, les doigts joints et sa grosse tête enfoncée dans ses maigres épaules, ses yeux de saurien à l’affût mi-clos, écoutait. La rage qui bouillonnait en lui n’avait pas encore trouvé d’exutoire. Cette fois, c’était clair. Après le café du centre, une seconde offensive venait d’être menée contre les Dolf. Et l’ennemi était toujours aussi peu identifiable. Muriel Dolf. Quel drôle de choix pour le ravisseur ! Et si… Et si c’était un faux enlèvement ? Une frasque de plus de la brebis galeuse du clan, alliée – pourquoi pas ? Aux ennemis des Dolf. Hypothèse saugrenue ? Peut-être. Mais il ne fallait négliger aucune éventualité.
– A quoi ressemblait cette camionnette ? Trafic ? J9 ? demandait Kramer. Il pianotait sur son ordinateur et montrait à Philippe des modèles de camionnettes sur les sites des différents constructeurs. Philippe secouait la tête, perdu.
–  Je ne sais pas… Je ne sais pas… Blanche… Pas très propre…
–  Quand vous dites « des ravisseurs », vous en avez vu combien ?
–  …Je n’en ai vu qu’un.
–  Quand cet homme en imperméable a mis votre épouse dans la camionnette, il est entré derrière elle ou bien il a fermé le hayon de l’extérieur ?
–  Non… Il y avait une portière coulissante sur le côté.
–  Ah, très bien, ça limite les modèles. Donc il est entré ou bien… ?
–  Oui, il est entré, je crois… Et la camionnette a démarré presque aussitôt.
–  Aussitôt ou presque aussitôt ? Comprenez moi bien, si elle a démarré aussitôt, cela veut dire qu’il y avait déjà un chauffeur au volant, sinon…
–  Non, au bout de quelques secondes seulement.
–  Donc le ravisseur a eu le temps de s’installer au volant. S’il était seul, qu’est-ce qui vous a fait croire qu’ils étaient plusieurs
–  …Je ne sais pas. Je ne sais pas.
–  Vous n’avez pas vu celui qui vous a maîtrisé et attaché ?
–  Non.
–  Vous ne savez pas si c’était le même homme ?
–  Non.
Jean-Claude avait envie de gifler son frère, mais il persistait à se taire. Kramer paraissait connaître son métier. Il enchainait les questions, passait du coq à l’âne, revenait en arrière, reposait les mêmes questions sous une autre forme, sans se lasser. Mais le résultat de cet interrogatoire, tous commençaient à s’en rendre compte, c’était que le peu que Philippe avait vu ne serait pas très utile à l’enquête, surtout si celle-ci devait rester officieuse.
Et Jean-Claude était de plus en plus convaincu que les choses étaient différentes de ce qu’elles paraissaient. A quoi rimait l’enlèvement de Muriel, si on y réfléchissait ? A rien. Par contre, si on analysait ce qui s’était passé sous un angle différent… Muriel vivait en dépensant l’argent de son mari sans compter. Muriel n’avait aucun respect pour la famille. Elle ne perdait pas une occasion de manifester son opposition aux décisions prises, et de mettre en avant ce qu’elle appelait son indépendance d’esprit. Muriel, perverse, mais aussi imaginative, et pourvue d’une certaine forme d’intelligence… Si on mettait tous ces éléments bout à but, une image se dessinait. Celle d’une femme assez tordue pour organiser elle-même son enlèvement. Une façon de se faire remarquer et surtout de soutirer de l’argent aux Dolf. Muriel, c’était l’ennemi dans la maison !
Une fois qu’on y pensait, cela devenait presque une évidence.
Cette salope est en train d’essayer de nous baiser, se dit Jean-Claude. Attendons de recevoir la demande de rançon. Si elle croit qu’on se laissera faire… Qui pouvait bien être son complice ? Le tueur du Café du Centre ? Cela paraissait tout de même peu probable, c’était sans doute une ruse de plus. Ils profitaient de l’état de crise.
Peut-être se trompait-il mais il ne fallait rien exclure. Partir du principe que cette femme était capable de tout.
Pauvre crétin, qui pense que sa femme est une victime, songeait Jean-Claude en regardant son frère répondre tant bien que mal au feu roulant des questions de Kramer. En échangeant un regard avec Kaplan, il crut voir naître les mêmes doutes et les mêmes questionnements chez son second.
Son portable vibra. C’était Besogneux, le rédacteur en chef de son journal. Il hésita, puis prit l’appel.
– Excusez-moi de vous déranger, Monsieur, mais je tenais à porter une information à votre attention.
–  Dites vite, je suis occupé.
–  J’ai demandé à la documentation une recherche sur le 18 mars 1978… Dolf se retint de lui demander quelle lubie l’avait saisi.
–  Et?
–  La documentation m’a signalé que l’ensemble des articles et des photos a été consulté et téléchargé – c’est un service que nous fournissons en échange d’un abonnement modique – par le blog de Charlène Fox.
–  Ah. Et en quoi cette information est-elle censée m’intéresser ?
Besogneux désarçonné, se mit presque à bégayer.
–  Mais je ne sais pas… J’ai cru comprendre…
–  Merci Besogneux. Cette demoiselle ne fait que confirmer ce que je pensais. C’est une bonne journaliste. Dommage que vous ne l’ayez pas recrutée plus tôt.
En raccrochant, il s’aperçut que ses jointures étaient blanches tant il serrait fort le portable. Il aurait aimé le lancer contre le mur, mais il le posa doucement devant lui et s’efforça de se concentrer sur l’interrogatoire de Philippe.
Elle est prête à tout pour vous protéger.
Bruno Walmer se trouvait face à Gaëlle dans le nouveau bureau qu’il lui avait attribué, mitoyen du sien. Entre eux, sur le plateau de la jolie table de merisier, les nouveaux logiciels et le clavier qui allaient lui permettre de surmonter son handicap, encore dans leurs emballages, étaient posés à côté de l’ordinateur devenu inutile de Gaëlle.
–  J’imagine que Marianne vous a dit pourquoi elle refuse en fin de compte de travailler avec moi, disait Bruno.
–  Oui.
–  Et qu’en pensez-vous ?
Bruno ressentit le même trouble que Marianne quand les yeux bleus de la jeune femme se posèrent par mégarde sur lui.
– Vous voulez savoir si je partage son avis ? Non, je suis sûre que si vous décidez de défendre cet homme, vous avez de bonnes raisons. Et d’ailleurs rien ne prouve pour le moment que c’est mon agresseur, si ?
Bruno se sentit plus ému qu’il n’aurait voulu l’admettre par la confiance qu’elle lui témoignait.
–  Je ne connais pas le dossier d’instruction, il faudrait que je le voie et que je lui parle.
–  Vous ne l’avez pas vu ! s’étonna-t-elle.
–  Non, je n’ai eu qu’un petit mot qu’il m’a fait parvenir. Tenez… Oh pardon.
Je vous le lis : « Je m’appelle Thomas Magnus. On m’accuse d’être l’assassin du café du centre. Je n’ai rien à voir avec cet attentat. Je suis innocent. Si je me rends à la police, acceptez-vous de me défendre ? »
–  C’est un peu mince, non ? dit Gaëlle.
–  En effet. Mais il me fait confiance pour aller le chercher et le présenter à la police.
–  Et s’il changeait d’avis et vous réservait le même traitement qu’à ses deux victimes ?
–  Franchement, ce serait une façon bien compliquée et risquée de me tuer.
–  C’est vrai. Mais ce n’est pas à cause de ça que vous le croyez innocent.
–  Bien sûr que non. D’ailleurs je n’ai pas d’idée à priori. Je ne pourrais pas vous donner toutes mes raisons, mais plus ça va, plus il me paraît important – non, essentiel – de parler à ce bonhomme, de comprendre quel est son rôle dans ce drame… Je reconnais que je sors de mes attributions. Ce n’est plus tout à fait l’avocat qui parle…
–  Parfois, on est sûr de quelque chose qu’on est incapable de justifier… Et qui suis je pour vous dire que vous avez tort ?
–  Alors vous ne m’en voulez pas si je conseille ce Thomas Magnus ? Elle sourit largement.
–  Bien sûr que non. Et je regrette beaucoup la décision de Marianne. Je le lui ai dit.
–  Vous pouvez aussi lui dire que si elle change d’avis, je suis toujours prêt à l’accueillir.
–  C’est vrai ?
–  Oui. Ce qu’elle m’a prouvé, c’est qu’elle est prête à tout pour vous protéger. Je peux difficilement lui en vouloir pour ça.

 

 

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