DAJMA | Chapitre 39 – La Cité des Secrets
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Chapitre 39 – La Cité des Secrets

Si je m’habille en nonne, ça ira ?
Philippe rejoignit Muriel chez eux, pour qu’ils se rendent ensemble à la cérémonie. Jean-Claude avait exigé la présence du clan Dolf au grand complet.
Muriel avait troqué son jean haut de gamme pour une robe noire stricte qui lui découvrait les bras et s’arrêtait à quelques centimètres au dessus des genoux. Elle s’était rapidement recoiffée mais n’était toujours pas satisfaite de l’image que le miroir lui renvoyait.
En plus, elle se demandait si Laurent Ménard ne lui avait pas refilé une mycose vaginale en la léchant, car elle ressentait entre les cuisses une démangeaison à la limite du tolérable. A moins que ce ne fut Philippe ? Ils avaient encore malgré tout des rapports sexuels au moins une fois par semaine. En tous cas, ce ne pouvait être que l’un ou l’autre, cela faisait des semaines qu’elle n’avait pas commis d’écart.
Philippe la regarda d’un œil critique.
–  Qu’est-ce que j’ai qui ne va pas ? lança Muriel.
–  Elle n’est pas un peu courte, ta robe, pour ce genre de cérémonie ?
–  Si je m’habille en nonne, ça ira ? Je peux aussi ne pas venir.
–  Jean-Claude a demandé…
–  « Jean-Claude a demandé ». Mais putain, Philippe, tu es encore obligé d’obéir au doigt et à l’œil à Jean-Claude ? Tu as cinquante ans dans un mois ! Tu es un grand garçon, non ? Et ce n’est pas ton père, ce n’est que ton frère aîné ! Il n’a aucune autorité sur toi !
Philippe lui tourna le dos et redescendit l’escalier. Il n’avait pas envie de l’entendre lui rabâcher ces vérités.
–  Tu t’enfuis ? Tu ne veux pas me répondre ? cria-t-elle à la cantonade. C’est la vérité qui te fait peur ?
–  Ça va Muriel ! Je t’attends dehors, je vais fumer une cigarette.
Elle se regarda une dernière fois dans le miroir et haussa les épaules. Elle était trop sévère avec elle-même. Elle avait quarante-sept ans et elle était plus belle que beaucoup de filles nettement plus jeunes. Et surtout plus sexy. A quoi ça tenait, elle ne le savait pas trop, mais elle exaspérait toujours les autres femmes et rendait les hommes distraits ou idiots. Pour combien de temps encore ?
En descendant l’escalier, elle se dit que si la démangeaison empirait, elle ne tiendrait pas longtemps, dans la Chapelle Ardente. Ne pas oublier de prendre un ovule, ce soir, avant d’aller au lit.
Au moment où elle mettait le pied sur le perron, elle vit Philippe assis par terre, le buste en appui contre l’aile de leur voiture. Il la regardait avec des yeux étonnés et on aurait dit qu’il avait les mains et les pieds attachés. Quelle était cette nouvelle folie ?
Elle descendit vers lui, mais elle sentit soudain une présence à proximité, et avant même de pouvoir se retourner, un capuchon opaque lui couvrit la tête, ses deux poignets furent violemment rabattus dans le dos et liés par un collier en plastique souple. Elle se sentit soulevée et balancée comme un sac sur une épaule dure. Quelques secousses douloureuses plus tard, elle atterrissait le souffle coupé sur une mousse épaisse et entendait une portière coulisser et se refermer bruyamment. Ses chevilles furent à leur tour liées de la même façon, et une voix murmura à son oreille : « Un cri et je vous tranche la gorge. » A partir de cet instant, elle décida de supporter son calvaire en silence. Qui vivrait verrait.


Elle a les dents trop longues
Les résultats des examens de sang de Jean-Claude Dolf tardaient à venir et cela influait sur son humeur.
En route vers la Chapelle Ardente, il était au téléphone avec Kaplan.
–  Besogneux est un imbécile, et il a été incapable de me trouver le moindre fait pertinent au sujet de Fox, dit-il. Cette fille est trop sûre d’elle pour être honnête. Elle a les dents trop longues et elle ne respecte rien. Elle a quelqu’un qui la protège, et je veux savoir qui. Je veux que vous me trouviez tout ce qu’il y a à trouver sur elle.
–  Très bien, je cherche.
Kaplan estimait, lui, que la personnalité de Charlène Fox – il était un lecteur assidu de son blog – lui permettait d’affronter les Dolf sans ressentir le besoin d’être protégée, et que la paranoïa innée – et de plus en plus envahissante – de son patron lui faisait voir des manipulateurs cachés là où il n’y avait personne, mais il se garda bien de le contredire. Paradoxalement, et c’était un sujet de réflexion pour Kaplan, c’est la paranoïa même de Dolf qui protégeait – provisoirement – Charlène Fox. Il n’oserait pas s’en prendre à elle tant qu’il ne serait pas certain qu’elle n’était protégée par personne, et qu’elle était un guerrier solitaire.
–  Est-ce normal que je n’aie toujours pas de résultats à mes analyses ? ajouta le grand patron.
–  Je ne sais pas, je vais me renseigner.
–  Bien. Dernière chose. Vous avancez sur le dossier ABP ?
Le dossier ABP était le nom de code pour une opération complexe au sujet de la construction d’une quatre voies financée par la Région. Il y avait un double enjeu – financier et économique pour les attributions de marché et le tracé de la quatre-voies. Kaplan agissait comme intermédiaire entre Dolf, les commissions d’attributions de marché public, les constructeurs, l’état, et différents conseillers régionaux qui avaient leur mot à dire et leur commission occulte à toucher.
–  J’avance, dit Kaplan, mais ce n’est pas simple, comme vous le savez.
–  Tout est simple, quand on connaît l’exacte motivation de ses interlocuteurs, répliqua Dolf.
–  Je n’ai pas les moyens de tous les mettre sur écoute.
–  Très drôle. Tenez-moi au courant pour les analyses.
–  Bien sûr monsieur.

 

Pourquoi c’est moi qui meurs en premier ?
La Mercédès bleu nuit se rangea le long de la Cathédrale, Jean-Claude Dolf en descendit rapidement, sous les flashes des journalistes, et pénétra dans la cathédrale par la porte principale.
La chapelle ardente occupait le bras ouest du transept, barré par un cordon rouge aussi épais que le corps d’un python, et le long duquel s’agglutinaient déjà les curieux.
Dès qu’ils le virent, les vigiles écartèrent le cordon le temps de le laisser passer. Samuel était déjà là, ainsi que sa femme, Anne. Philippe et Muriel brillaient par leur absence. Pourtant les consignes étaient claires. C’est à cause de Muriel ! Se dit Jean-Claude : cette nymphomane en pré ménopause est le ver dans le fruit, et elle monte Philippe contre nous. Il va falloir aviser. Les deux cercueils étaient montés sur des tréteaux, eux-mêmes dissimulés par des rideaux de velours noir.
Jean-Claude s’assit au premier rang, à côté du préfet, et de la secrétaire d’Etat à la jeunesse et au sport. Le procureur Sallenave, trois adjoints de son frère, dont Kramer, et quelques autres édiles de moindre importance, occupaient le deuxième et le troisième rang.
Le prélat, grand, gros et chauve, vêtu de son étole violette, surgit de derrière une colonne et avança vers eux, s’arrêtant entre le petit autel de pierre et les cercueils.
« Madame la secrétaire d’Etat, Monsieur le Préfet, Monsieur le maire… » Jean-Claude fixait le cercueil de gauche dans lequel reposait son cousin Paul. Il n’avait pas besoin de voir à travers le plaquage en chêne de la boîte oblongue pour le savoir. Un petit panneau avec le nom du mort était apposé sur chacun des cercueils.
Dans un état de rêve éveillé, Jean-Claude vit les vis du couvercle sortir du bois et tomber, la partie supérieure du couvercle se soulever comme un capot de voiture, et le buste de son cousin se redresser.
Le cousin Paul lui adressa un clin d’œil complice, et Jean-Claude tressaillit. Paul se racla la gorge
– Je ne pensais pas finir comme ça, dit-il… On en a fait des saloperies, Samuel, toi et moi, et c’était toujours vous deux qui m’entraîniez ! Pourquoi c’est moi qui meurs en premier, ce n’est pas juste !
Jean-Claude glissa un regard vers Samuel qui paraissait concentré sur les cierges de l’autel.
– Tu ne me réponds pas, cher cousin ? Tu ne sais pas quoi dire, c’est ça ? Et si on parlait d’il y a quarante ans ?
Jean-Claude tressaillit. Un mouvement imperceptible que Paul fut le seul à remarquer.
–  Tu as les jetons ? dit-il en ricanant.
–  Ta gueule, lança Jean-Claude entre ses dents.
Son frère, sa belle-sœur et le préfet lui lancèrent un regard surpris. A qui demandait-il de fermer sa gueule ? Au gros curé ?
Jean-Claude serra les lèvres, et se contint. Quand il releva les yeux, le cercueil s’était refermé sans bruit, et Paul avait disparu.
Il y eut par contre un bruissement de foule à l’arrière de la petite cérémonie, mais Jean-Claude n’y prêta pas tout de suite attention. Il fallut que le préfet finisse par se retourner pour que Jean-Claude se retourne aussi, et avise son frère Philippe, la coiffure en bataille, la cravate de travers, en train de gesticuler pour attirer son attention. Sa bouche et tout le bas de son visage tremblaient comme de la gelée.
Un instant, Jean-Claude espéra qu’il s’agissait encore d’un fruit de son imagination, mais c’était peu probable, car il n’était pas le seul à avoir remarqué ce manège.
Qu’est-ce que ce sombre crétin a encore inventé? Se demanda-t-il en s’excusant d’un signe de tête et en rejoignant Philippe à l’arrière du transept. Beaucoup de regards s’étaient détachés de l’homélie pour suivre sa pérégrination vers son plus jeune frère.
– Muriel a été enlevée, hoqueta celui-ci, au bord des larmes.
Jean-Claude l’entraîna d’une poigne de fer derrière la colonne, en espérant qu’il avait été le seul à entendre la petite phrase glaçante. Philippe avait les yeux exorbités et paraissait sur le point de s’effondrer. Jean-Claude le secoua.
–  Un peu de tenue ! Muriel enlevée ? Qu’est-ce que tu me chantes ?
–  Oui ! Muriel a été enlevée ! Devant la maison !
–  Plus bas ! Qu’est-ce qui s’est passé ?
–  Ils m’ont attaché et ils l’ont enlevée ! Dans une camionnette !
–  Qui«ils»?
–  Comment veux-tu que je le sache ? Il portait des grosses lunettes, un chapeau et un imperméable…
–  Quoi?
Cette description lui rappelait qui déjà… ? Magnus ! Magnus, le fugitif, l’assassin du café du centre… Se pouvait-il que ce salopard ait eu le culot infernal de capturer sa belle-sœur ? Pourquoi Muriel ?
C’est la guerre ! Se dit Dolf. Mais la guerre contre qui ?

 

 

 

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