DAJMA | Chapitre 36 – La Cité des Secrets
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Chapitre 36 – La Cité des Secrets

Comme une adolescente qui se rend à sa première fête
Pauline Verdier hésitait. Cette fois, elle avait fouillé sa maison de fond en comble, et il n’y avait aucune chance pour que son visiteur du soir arrive impromptu. Il ne lui restait qu’à mettre la barre pour être sûre qu’il ne viendrait pas.
Mais elle n’avait pas envie de la mettre, cette barre. Elle s’était rendue compte que ce qu’elle vivait depuis quelques jours l’avait transformée. D’abord, c’était devenu un sujet de réflexion presque obsessionnel, ensuite elle avait envie de savoir… de découvrir ce que cet homme allait lui apprendre. Même si cela prenait du temps. C’était comme les mille et une nuits, comme un feuilleton policier haletant, mais en vrai. The Real Life, comme elle l’avait lu ou entendu quelque part. Elle vivait une expérience unique, hors du commun, à la fois excitante et romanesque. Etait-elle complètement stupide? L’excitation qu’elle ressentait valait-elle le risque qu’elle courait ? Si son conteur anonyme décidait un jour qu’il en avait trop dit et la faisait passer de vie à trépas ? Ou s’il abusait d’elle ? En plus du désagrément causé, elle se sentirait bien conne, face aux questions des flics… Somme toute, il valait mieux qu’elle meure assassinée…
Elle se dit qu’elle pouvait reporter sa décision pour la fin de la semaine, le laisser venir encore quelques soirées avant de décider si oui ou non elle allait lui bloquer l’accès.
C’était un choix difficile à faire, mais elle laissa la barre où elle était, dressée contre le mur au coin de la porte, inoffensive. Elle se sentait à la fois coupable et incroyablement audacieuse. Elle laissait sciemment un inconnu s’introduire en pleine nuit chez elle, dans sa chambre… Ses amis, sa sœur auraient hurlé qu’elle était complètement folle. Peut-être qu’elle l’était, mais Pauline avait toujours été un peu à part, d’aussi loin qu’elle se souvienne. C’était d’ailleurs peut-être pour ça que malgré sa jolie silhouette (bien entretenue), son visage avenant, son cerveau en bon état de marche, son métier intéressant, elle n’avait trouvé personne pour partager sa vie. Elle était trop singulière, elle ne se contentait pas de ce que les autres aimaient, préférait se priver plutôt que de se contenter de faux-semblants, de succédanés… Au fond d’elle-même, elle avait soif de grandeur et d’absolu. Sous ses dehors de gentille quinquagénaire sédentaire voire planplan, c’était une aventurière.
Elle laissa donc la barre où elle était avec le sentiment qu’elle faisait la plus grosse connerie de sa vie, et monta vers la salle de bain et sa chambre avec un creux au ventre et le cœur battant, comme une adolescente qui se rend à sa première fête.
Quand elle enfila sa chemise de nuit, elle garda son slip, sans bien savoir pourquoi. Si l’inconnu décidait de la violer, ce n’est pas cet obstacle qui l’arrêterait. Elle essaya de lire, mais en fut bien incapable.
A 23 heures, elle était dans un état de fébrilité qui frisait l’hystérie. Le moindre bruit la faisait sursauter, elle avait mal au cou à force se s’empêcher de se retourner. En plus, elle transpirait mais n’osait pas découvrir ses jambes, de peur que l’inconnu prenne ça pour une invite, et son chat devenu aussi nerveux qu’elle émettait des petits grincements et des miaulements en faisant l’aller et retour entre la salle de bain et la chambre.
A minuit, toujours rien.
Elle sursauta en se réveillant et constata qu’il était deux heures du matin. N’y tenant plus, elle rejeta sa couette et se leva d’un bond. Il n’y avait personne dans le petit fauteuil derrière elle. L’assise était normalement gonflée, et froide. Elle descendit et vérifia la porte d’entrée. La barre était toujours sagement rangée à sa place. Les pièces étaient vides.
Il n’était pas venu. Il n’avait pas daigné venir. Comme ça, sans prévenir. Elle était exaspérée. Très bien. Il avait laissé passer sa chance. Dorénavant elle mettrait la barre tous les soirs – après avoir fait le tour de sa maison. Tant pis pour ce sale con.
Elle alla boire un verre d’eau fraîche à la cuisine. Et se mit soudain à rire, en songeant que sa réaction était à la fois illogique et disproportionnée. Sa déception ne rimait à rien. Il ne lui avait rien promis. Et il y a quelques heures, elle songeait encore à lui interdire l’entrée… De quoi se plaignait-elle ? Elle était vraiment folle !
Elle remonta se coucher.
En entrant dans la chambre, elle vit quelque chose qui lui avait échappé quand elle était sortie.
Un petit carton blanc était posé contre le pied de la chaise. Elle prit le carton et lut les trois lignes tracées au recto : « Je n’ai pas eu le cœur de vous réveiller, vous étiez si jolie et si paisible dans votre premier sommeil. A bientôt »

Tu es la seule personne au monde qui me protégera quoi qu’il arrive
–  Comment s’est passé votre dîner ? demanda Gaëlle à Marianne, devant leurs tasses de café.
–  Pas très bien. Finalement, nous ne serons pas associés.
–  Quoi ? Mais pourquoi ?
–  Parce que ton cher Bruno Walmer veut défendre le type qui t’a… qui t’a agressée et blessée.
–  Thomas Magnus, le fugitif ?
– Oui.
Gaëlle réfléchissait, sans se rendre compte que ses grands yeux bleus fixaient Marianne avec une intensité troublante. Difficile, presque impossible d’admettre et d’accepter qu’elle ne voyait pas, se dit Marianne, qui détourna bientôt son regard, incapable de soutenir celui de Gaëlle.
–  Ce n’est pas parce que c’est un tueur que ça te gène. C’est à cause de moi, c’est ça ? Tu ne supportes pas qu’il défende le type qui m’a aveuglée ?
–  Oui.
–  Excuse-moi, chère belle-mère, mais je trouve ça ridicule. Je connais
Bruno. Ce n’est pas par goût de la publicité qu’il est prêt à prendre ce dossier, en tous cas pas seulement. Il a forcément d’autres raisons. Je sais que tout ce qui a un rapport avec les Dolf l’intéresse. Et ce double meurtre est lié aux Dolf. En prenant la défense de ce type, il a certainement une idée derrière la tête.
–  Je m’en fous, dit Marianne. Tu te rends compte de ce que ça veut dire ? Tu te vois faire des recherches pour le bénéfice du tueur qui t’a… ?
–  Aveuglée, tu peux le dire. C’est bien sûr que c’est lui le tueur ?
–  Pourquoi tu dis ça ?
–  Je ne sais pas… On l’a attrapé un peu trop facilement ce type… Et j’ai écouté la radio. Un marginal, écrivain, poète… Il y a un truc qui ne colle pas. Bruno a dû se dire ça, lui aussi. Mais… Gaëlle s’interrompit.
–  Quoi, ma chérie ?
–  Bien sûr, ça peut être un crime de forcené, mais je n’y crois pas vraiment… Les Dolf ont fait beaucoup de mal à cette ville. Ils la mettent en coupe réglée depuis des décennies. C’est eux qu’on a voulu toucher. Ça ressemble à une exécution, comme quand on tue des gens pour laisser un message que seuls peuvent comprendre les intéressés…
–  Tu veux dire que ces deux types ont été tués pour laisser un message aux Dolf.
–  Peut-être. Un des deux types était un Dolf, d’ailleurs, un cousin du maire.
–  Walmer dit que Magnus clame son innocence.
–  Il l’a vu?
–  Je ne sais pas… En même temps tu sais comme moi que ça ne veut rien dire. Les coupables disent presque systématiquement qu’ils sont innocents.
–  C’est vrai, mais il y a aussi des innocents qui sont condamnés à tort. Et quand les Dolf sont mêlés à une affaire, on peut être sûr que les apparences ont peu de rapport avec la réalité. Peut-être que ce Magnus est vraiment une victime et que Bruno tient à empêcher une erreur judiciaire. Marianne sourit.
– En gros, tu défends ton patron coûte que coûte. Quoi qu’il fasse, il a raison.
Ce fut au tour de Gaëlle de sourire.
–  Il y a de ça. Mais c’est surtout que j’ai beaucoup observé sa façon de travailler. S’il veut défendre ce Magnus, c’est qu’il sent qu’il y a quelque chose à faire… Peut-être même que c’est lié au scandale des lotissements…
–  Tu trouves que je me suis trop précipitée en refusant de m’associer à lui ?
–  Je comprends pourquoi tu l’as fait… Et je te remercie. J’ai l’impression que tu es la seule personne au monde qui me protégera quoi qu’il arrive… Mais je crois que tu devrais quand même travailler avec Bruno. Bruno ne fera jamais rien qui puisse me nuire, je le sais.

 

 

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