DAJMA | Chapitre 34 – La Cité des Secrets
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Chapitre 34 – La Cité des Secrets

Tu as eu combien d’orgasmes ? Ça serait peut-être mon tour, non ?
Le téléphone portable du capitaine Ménard vibra dans sa poche arrière. Il était à genoux, la tête prise entre les cuisses de Muriel Dolf, renversée sur le petit canapé du studio qu’elle louait sous son nom de jeune fille, à la périphérie.
L’appartement était situé à l’avant-dernier étage d’un des immeubles construits à la fin des années 90 sous l’impulsion des premières lois destinées à donner un coup de fouet au secteur de la construction et à l’investissement locatif, et dont la jeune population d’employés du tertiaire se renouvelait à un tel rythme qu’il était facile d’y rester anonyme. Il était fonctionnel, sans charme, et convenait parfaitement à ses objectifs. Sa plus grande qualité était la vue du petit balcon, mais en l’occurrence, la vue du balcon était la dernière chose qui intéressait Muriel.
Un lit de 180cms de large, un canapé dans le salon, un écran avec internet, quelques livres érotiques, quelques reproductions de nus classiques, constituaient l’essentiel de l’ameublement. La salle de bain disposait d’une vraie baignoire et le placard regorgeait de gels variés et de préservatifs, la cuisine de jus de fruit, mais pas d’alcool. Muriel n’était pas le genre de femme à se laisser prendre au dépourvu – ni au propre ni au figuré. Par précaution, elle gardait dans un petit placard des vêtements et des sous- vêtements propres, mais elle avait pour règle de ne laisser aucun autre objet personnel.
Une entreprise de ménage se chargeait de nettoyer l’appartement et de changer les draps et les serviettes deux fois par semaine.
Ménard dégagea sa tête et s’essuya les lèvres d’un revers de main, avant de prendre le portable et de regarder l’écran.
C’était son ami Nicolas Dolf.
Il marmonna une excuse à l’intention de Muriel, qui resta offerte, les jambes relevées, quelques secondes encore, avant de basculer sur le côté et de remonter son string et son jean Dior.
Elle alla allumer une cigarette sur le balcon. Elle n’était pas vexée. Ménard était un grossier personnage, et se comportait en muffle, c’était la donnée de base. Elle n’éprouvait pas de sentiment fort pour lui, mais elle trouvait excitant, elle qui était liée par le mariage à la famille la plus puissante de la ville, de se faire baiser par un petit capitaine de police qui avait une réputation de brute, à quelques centaines de mètres du bureau de son mari. Leur liaison durait depuis trois mois maintenant, et elle avait fait le tour du bonhomme. Il n’était pas si mauvais amant, mais sa conversation était nulle, et il l’amusait de moins en moins.
Elle regarda sa montre. Si la conversation se prolongeait, elle le virerait et rentrerait chez elle, mais elle était curieuse de savoir à quelles informations répondaient les interjections et les grognements de Ménard. Ça devait tout de même être important pour qu’il ait aussi vite débandé.
Il raccrocha et rengaina le portable, en profitant pour se rajuster lui aussi.
–  C’était si urgent que ça ? dit-elle.
–  C’est un pote. Il a vu ma femme sortir de chez un avocat.
–  Quel avocat ?
–  Walmer.
–  Walmer ? Ta femme est allée voir Walmer ? Pourquoi à ton avis ?
–  C’est ce que j’aimerais bien savoir.
–  Tu crois qu’ils sont amants ?
Il haussa les épaules.
–  Ça m’étonnerait. Quoique… Pour m’emmerder peut-être, parce que le cul c’est pas vraiment son truc.
–  Le cul avec toi, tu veux dire.
Il haussa les épaules pour éviter de répondre. Il n’aimait pas quand Muriel devenait sarcastique.
– Ton pote, ce ne serait pas Nicolas Dolf ?
Il ne répondit pas non plus, mais elle sut qu’elle avait vu juste.
–  C’est vraiment un ami à toi ?
–  Pourquoi ? Je ne vais pas lui parler de nous, tu sais. Je ne suis pas cinglé.
–  J’espère bien, mais méfie-toi de ce garçon.
Elle regretta aussitôt de lui avoir dit ça. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire, que Laurent et Nicolas se fréquentent ? Après tout, Ménard n’était pas non plus une oie blanche.
–  Pourquoi tu dis ça ? demanda-t-il.
–  Pour rien.
–  Comment ça, pour rien ?
–  Bon, d’accord… Pour moi, Nicolas, c’est de la graine de psychopathe. Il est très violent et totalement imprévisible.
–  Il a essayé de te sauter ?
Elle ricana.
–  Non, il ne s’intéresse pas à moi, je pense d’ailleurs que c’est un pédé refoulé.
–  Parce qu’il ne s’intéresse pas à toi, il est pédé ?
–  Non, pas seulement. J’ai l’œil. Fais attention à ce type, conseil d’amie.
–  T’en fais pas pour moi, si jamais il y a une embrouille entre lui et moi…
–  Oui?
–  Non, rien.
–  Mais si ! Tu allais dire quelque chose ? Quoi ?
–  Rien.
Elle s’approcha de lui, cajoleuse.
–  Allez, dis-moi. Je t’ai fait confiance et je t’ai dit ce que je pensais de mon neveu ? A ton tour. Ça ne sortira pas d’ici, tu le sais bien.
–  …Bon. Si tu veux savoir, dit-il, ne pouvant s’empêcher de plastronner devant elle, je pourrais le faire plonger.
–  Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il a fait ?
Il posa un doigt épais sur les lèvres de Muriel.
–  Chut. On arrête de parler de ça. Je ne t’ai rien dit.
–  J’ai le droit de savoir ! C’est mon neveu !
Il l’enlaça et tenta de lui baisser son pantalon.
– Un neveu que tu traites de psychopathe… Où on en était déjà ? Tu as eu combien d’orgasmes ? Deux ? Trois ? Ça serait peut-être mon tour, non ?
Il rouvrit sa braguette et la saisit, mais elle le repoussa.
–  Trop tard, il ne fallait pas répondre au téléphone.
–  Merde, tu es vexée ?
–  Non, mais il faut vraiment que j’y aille. Il faut que je me prépare.
–  Tu te fous de ma gueule ?
–  J’ai une soirée. Demain, je ferai ce que tu voudras. Promis.
Elle ignorait qu’elle ne pourrait jamais tenir sa promesse.
Il la laissa à regret finir de se rhabiller, et sortit quelques minutes avant elle, comme à chaque fois. Elle jouait avec lui et il n’aimait pas ça. Elle l’intimidait, avec la famille de son mari, avec cet argent qu’elle dépensait sans compter, mais un jour il lui ferait comprendre qui était le maître. A coups de ceinture s’il le fallait.
Il se dit qu’il n’aurait jamais dû lui laisser entendre – même de manière aussi imprécise – qu’il avait barre sur Nicolas Dolf. Que se passerait-il si elle commençait à poser des questions autour d’elle, qu’elle parlait de lui et que cela revenait aux oreilles de Kramer, ou pire encore, de Kaplan et de Jean- Claude Dolf ?
Ménard soupira. Il allait faire un tour à la boîte avant de rentrer affronter sa femme tireuse de gueule et ses filles braillardes.

 

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