DAJMA | Chapitre 29 – La Cité des Secrets
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Chapitre 29 – La Cité des Secrets

La seule personne à qui j’ai fait du mal, c’est moi
Valérie attendait un énorme choc, la douleur explosive puis le néant, mais rien ne venait. Elle finit par rouvrir les yeux. L’homme était accroupi face à elle et donnait des petits coups dans sa paume gauche avec le démonte- pneu, tout en la fixant avec une expression qu’elle avait du mal à identifier, mais qui ne paraissait ni agressive ni concupiscente.
–  Heureusement que vous ne savez pas frapper, sinon je serais mort, avec ce truc, dit-il. C’est assez lourd pour fracasser un crâne.
–  Et maintenant, vous allez faire quoi ?
–  C’est exactement la question que je me posais, dit-il. Pendant que vous étiez dans le coffre, j’ai mis la radio. Et j’ai entendu ce qui s’était passé au café du centre. Je n’étais pas au courant.
–  J’ai du mal à vous croire, dit-elle. C’est vous qui êtes accusé des meurtres.
–  Je sais, mais je n’y suis pour rien. Et je n’y comprends rien. D’ailleurs, quand ça s’est passé j’étais déjà dans le squat, chargé à bloc, en plein voyage.
–  En plein voyage ?
–  Oui, c’est une expression un peu ancienne, ça date des années soixante, les gens qui faisaient des trips au LSD… J’ai été drogué.
–  Si vous n’êtes pas coupable, vous n’avez aucune raison de me faire du mal. Vous feriez mieux de vous livrer.
–  Je suis innocent, mais apparemment j’ai une tête de coupable, sinon on ne m’aurait pas embarqué. Ou alors on m’a dénoncé… Alors je n’ai pas envie de me livrer comme ça. Il me faut des garanties.
–  Quelles garanties voulez-vous que je vous donne ?
–  Pas vous. Ecoutez-moi. Si je vous laisse partir, j’aimerais que vous alliez voir un avocat, Bruno Walmer. Je crois que c’est un type honnête, j’ai entendu des choses positives sur lui, il ne fait pas partie de la mafia de la ville.
–  Vous me laisseriez partir comme ça ?
–  Oui. Je n’ai pas le choix. Je n’ai pas envie de devenir un fugitif, je n’ai pas d’argent, pas de contacts… Je ne suis pas un assassin. Ni un voyou. Juste un type paumé qui a fait de mauvais choix, mais rien de très grave. Je vous le répète, la seule personne à qui j’ai fait du mal, ces derniers temps, c’est moi. Vous avez un crayon et du papier ?
Valérie avait le sentiment qu’il n’essayait pas de la tromper. Du coup, elle commença à avoir des remords en voyant la trainée de sang séchée qui lui zébrait le front. Non, il fallait qu’elle arrête de culpabiliser. C’est lui qui l’avait cherché. Elle ne lui avait rien demandé. C’était l’expression « mauvais choix» qui avait transformé son opinion de l’homme. Exactement l’expression qu’elle employait pour parler d’elle… Non, il ne fallait pas qu’elle se laisse attendrir.
Elle se redressa et brossa son pantalon. Elle avait encore mal au coccyx. Elle se regarda dans le rétroviseur extérieur et arrangea les mèches qui lui barraient le visage. Son cou était rouge là où il l’avait agrippée, et il lui avait à moitié déchiré son chemisier. Elle fit la grimace. Elle y tenait, à ce chemisier, acheté en solde l’année dernière. Elle savait qu’il lui allait bien, et maintenant…
Elle fouilla dans le vide-poche, trouva le post-it où elle notait les courses à faire, et un bic cassé qui écrivait encore.
Elle les lui tendit.
Il griffonna quelques mots et lui rendit le tout.
– Et si Walmer refuse de vous défendre ? Il haussa les épaules.
– J’aurai au moins essayé. De toute façon, je ne peux rien faire d’autre. A moins que vous ayez une meilleure idée ?
En s’éloignant au volant de la voiture, elle vit la petite silhouette de l’homme rapetisser dans le rétroviseur. Jusqu’au dernier moment, elle pensait qu’il changerait d’avis, mais non, il l’avait laissée partir.
Elle ne savait plus très bien quoi faire. Il n’avait pas l’air d’un assassin, mais elle avait souvent entendu dire que certains des pires criminels de l’Histoire avaient l’air de bonshommes inoffensifs, voire sympathiques. Et il lui avait fait confiance. Il aurait pu l’assommer, ou pire, et partir avec sa voiture. Non, il l’avait libérée et s’était livré à elle. Elle l’avait frappé et il n’avait pas cherché à se venger – même si son coccyx était encore douloureux. Si Thomas Magnus était un tueur, ce n’était pas un tueur comme les autres. Tout cela méritait réflexion.
Avec le retour du réseau, son téléphone émit une série de bips et elle écouta la messagerie. Deux messages de Laurent, furibond, lui demandant où elle était passée. L’école avait appelé et il y avait un problème à régler. Mais qu’est-ce qu’elle foutait nom de dieu ? Valérie appela l’école. Sa fille cadette était tombée et s’était cassé l’auriculaire. La maîtresse – sa collègue Chantal – avait pris sur elle d’appeler le médecin qui avait fait une attelle à la petite et lui avait donné un calmant. Chantal voulait savoir quand Valérie pourrait passer récupérer sa fille. Et pourquoi elle avait dû en prime prendre en charge sa classe.
– Et merde ! jura Valérie à haute voix, oubliant provisoirement son dilemme moral.

 

Face aux Dolf, à deux on ne serait pas de trop
Marianne avait demandé à Bruno si elle pouvait le voir à l’heure du déjeuner, mais même s’il était théoriquement libre – il n’aimait pas les déjeuner professionnels et préférait prendre un sandwich dans son bureau en préparant ses dossiers – aujourd’hui, il avait l’obligation absolue de préparer tout son argumentaire pour une réunion avec l’association des habitants du Puiseux. Il pouvait recevoir Marianne, mais pas plus de quelques minutes avant cette réunion.
Du coup, elle avait proposé à Gaëlle de picniquer dans le parc tout proche. Elles seraient beaucoup plus tranquilles là, sous un des tilleuls, que dans un des restaurants bondés du centre-ville. L’air était doux et Gaëlle ne tenait pas du tout à se montrer et à devoir expliquer ce qui lui était arrivé. Elle ne voulait subir ni la curiosité ni la pitié de ses semblables.
–  C’est drôle, dit Gaëlle, je suis incapable de deviner ce qu’il va te dire. Walmer est imprévisible. Mais à priori, cela devrait beaucoup le flatter que tu lui demandes une association.
–  Pourquoi le flatter ? Je n’ai pas l’impression qu’il est très impressionné par moi, et il n’a pas besoin de moi.
–  Oui, tu as raison, il s’en sort très bien tout seul. Mais en même temps, le fait que tu quittes Paris pour le rejoindre, c’est forcément flatteur, et il sait qu’avec quelqu’un comme toi à ses côtés, son cabinet prendrait une sacrée dimension.
Marianne sourit. La confiance de Gaëlle était réconfortante.
– On verra bien, dit-elle. Mais en quittant Paris, ce n’était pas du tout à
Walmer que je pensais. Elle consulta sa montre.
–  Si je veux l’attraper avant sa réunion marathon, c’est maintenant. Tu viens ou je te raccompagne d’abord chez toi ?
–  Non, je viens avec toi. Je vais m’installer dans mon petit bureau et t’attendre.
Bruno regardait Marianne avec curiosité, en balayant les miettes de son déjeuner.
–  Excusez-moi, dit-il, je ne peux vraiment pas vous accorder plus de quelques minutes. Je suis déjà en retard. Mais si vous êtes libre ce soir…
–  J’en ai pour un instant, dit-elle.
–  Je comprends que vous vous inquiétiez pour Gaëlle, mais je vous assure que je ne la laisserai pas tomber.
–  Je n’en doute pas une seconde.
–  J’admire son courage, dit-il. Faire face à son handicap avec une telle détermination… Je ne pense pas que j’en aurais été capable. Vous pensez qu’elle tiendra le coup ?
–  Oui, et je l’y aiderai.
–  Bon…
Visiblement, il pensait que la conversation était close.
– Je ne vous ai toujours pas dit pourquoi je tenais à vous voir. J’ai démissionné de mon cabinet parisien pour être plus proche de Gaëlle… Et puis parce que j’en avais un peu marre, pour tout dire. Mais je vous connais de réputation, et j’aimerais me joindre à vous, dans votre cabinet.
Il en oublia les miettes et la fixa, désarçonné.
–  Ça alors… Excusez-moi, j’avoue que je suis surpris par votre offre.
Engager la grande Marianne Bel ? C’est très flatteur, mais nous n’avons pas ici d’affaires qui méritent votre talent. Et en plus, je suis désolé, mais je ne pense pas que ce que je vous proposerais puisse vous convenir. Je n’en ai simplement pas les moyens.
–  Attendez, je crois qu’on s’est mal compris. Ce que je vous propose, ce n’est pas ma candidature comme collaboratrice. C’est une association pleine et entière. J’apporte au pot ma compétence, mon énergie, quelques uns des clients que j’ai l’intention de garder. Et je ne me paye que sur les affaires que j’apporte.
–  Pourquoi ne pas ouvrir votre cabinet toute seule dans ce cas ?
–  Parce que je n’ai pas envie d’être en concurrence avec vous. Je respecte votre travail. Et cette ville n’est peut-être pas Paris, mais je pense qu’il y a beaucoup à faire, et que face aux Dolf, à deux on ne serait pas de trop. Je me trompe ?
–  Il n’y a pas que les Dolf, il y a Bouchard, votre ex-mari et père de Gaëlle.
–  Je sais, même si je le juge moins dangereux et moins puissant que Jean-Claude Dolf. Je me trompe ?
–  Sans doute pas, mais vous savez bien sûr qu’ils sont tous les deux associés dans le lotissement du Puiseux, qui est mon plus gros dossier actuel. Même s’il ne me rapporte pas un sou.
–  Non, je ne connais pas les détails, mais deux types comme Dolf et Bouchard, s’ils sont sur le même territoire, sont forcés soit de se détruire l’un l’autre, soit de travailler ensemble.
–  Exactement, même s’ils se détestent. Je vais vous poser une question personnelle : avez-vous gardé un lien avec Aladin Bouchard ?
–  Aucun. Il a épousé ma sœur, mais je suis brouillé avec elle depuis quinze ans. Je n’ai ni lien affectif ni intérêt commun avec Aladin Bouchard et sa femme. Si, pardon, Gaëlle. Mais je pense que vous ne vous méfiez pas de Gaëlle. – Non bien sûr.
Walmer regarda sa montre.
– Désolé, il faut que j’y aille.
Il rassembla ses dossiers et les coinça sous son bras.
–  On reparle de tout ça ce soir, si vous voulez. Huit heures, ça vous va ?
–  Oui.
–  Je vous propose de venir chez moi. On sera plus tranquille pour parler.
Il la fixa droit dans les yeux, et elle crut y déceler une lueur d’ironie.
–  Ça vous va?
–  Parfait.
–  Ma secrétaire va vous donner l’adresse. Si je ne suis pas encore arrivé, le code sur la porte du jardin est 101255 et la clé de la maison est sous le troisième pot de fleur à droite de l’entrée. A tout à l’heure.
J’aime bien ce mec, se dit Marianne en allant rejoindre Gaëlle. Dommage qu’on soit trop… mûrs tous les deux pour entamer une histoire, mais j’ai ressenti la même chose qu’à l’hôpital. Ce n’était donc pas une fausse impression. Et ça faisait longtemps. A suivre.

 

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