DAJMA | Chapitre 28 – La Cité des Secrets
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Chapitre 28 – La Cité des Secrets

Il ne se lance jamais sans avoir pesé les risques
Marianne et Gaëlle étaient dans le bureau de Walmer.
–  J’avoue que vous me prenez de court, dit Bruno Walmer à Gaëlle, tout en regardant également Marianne. Je ne pensais pas que vous sortiriez si tôt de l’hôpital. Mais voilà à quoi j’ai pensé.
–  Je ne veux pas être une charge pour le cabinet.
–  Si vous me laissiez poursuivre, dit doucement Bruno. J’avais l’intention de vous mettre dans le bureau à côté du mien, mais je n’ai pas encore eu le temps de le déménager. Vous savez que j’ai une grande confiance dans vos capacités, dans votre mémoire, dans votre agilité intellectuelle. J’aimerais que vous m’assistiez sur tout le dossier des lotissements du Puiseux, au nord de la ville. Cette affaire va prendre beaucoup d’ampleur, dans les mois et peut-être les années qui viennent, et comme je ne veux pas abandonner mes autres clients, j’aurai besoin d’un coordonnateur – d’une coordonnatrice. Vous, Gaëlle.
–  C’est une promotion injustifiée, dit-elle. Si je ne suis pas capable…
–  Vous l’êtes. Je le sais, vous le savez. Pas de fausse modestie. Et votre handicap – qui est provisoire j’en suis sûr – ne vous gênera pas trop. Ce n’est pas vous qui irez fouiller dans les archives, ce seront les stagiaires que vous enverrez et qui viendront vous rendre compte. Si l’avocat chinois Chen Guangcheng a été capable de s’opposer au gouvernement chinois et même de s’évader de Chine malgré sa cécité, si notre confrère Dominique Bréard a été élu secrétaire de la Conférence du Stage, et prouvé qu’il était un des plus brillants pénalistes de sa génération, vous êtes parfaitement à la hauteur. Je vous ai commandé un ordinateur avec un écran braille et un logiciel de reconnaissance vocale. Avec cet outil, vous pourrez éplucher votre courrier sans problème. Si vous avez une urgence ou un problème particulier, un stagiaire vous accompagnera pour la lecture du dossier concerné.
–  Vous avez pensé à tout, dit Marianne, impressionnée malgré elle.
–  Non, je n’ai certainement pas pensé à tout. Mais cela viendra petit à petit. Et je n’ai aucun doute sur la qualité du travail que nous ferons ensemble.
De retour dans le petit bureau de Gaëlle, Gaëlle demanda à Marianne d’aller sur internet.
– Tu cherches quoi ?
– Tape « avocat aveugle » et lis-moi le résultat.
Quelques instants plus tard, Marianne lisait les articles qui s’affichaient, et cliquait sur le premier, puis le second.
Elle lut leur contenu à Gaëlle qui se mit à rire doucement.
– C’est pratiquement mot pour mot ce que nous a dit Bruno, non ? Marianne acquiesça.
–  Tu en conclus quoi ? Il voulait prendre ses précautions ?
–  Non, il voulait trouver les meilleurs arguments pour me convaincre. Il est confronté à une situation nouvelle et il ne s’engage pas sans biscuit. Il a cherché des précédents… La jurisprudence. C’est tout Bruno, ça. Il ne se lance jamais sans avoir pesé les risques, c’est pour ça que c’est un super avocat.
–  Tu l’admires ?
–  Oui. Pas seulement pour ça. Il est honnête et il croit encore qu’il a une mission. Il aurait pu mieux gagner sa vie ailleurs, mais il n’a jamais voulu abandonner cette ville et sa clientèle.
–  Qu’est-ce que tu dirais si je lui demandais de m’engager ?
–  Toi ? Un cabinet de province après ta réussite à Paris ? Pourquoi tu ferais ça ? Si c’est pour moi, je t’assure que…
–  J’ai démissionné de mon cabinet parisien. Quoi qu’il arrive, ma décision est inéluctable.
–  Tu as démissionné quand ?
–  Ce matin.
–  Oh Marianne… C’est à cause de moi.
–  En partie seulement. Ecoute-moi. A Paris, je me suis engagée dans une voie qui m’a de plus en plus éloignée de mes premières convictions. Récemment, j’ai défendu un Parti politique qui a triché aux dernières élections d’une façon éhontée.
–  Tu as perdu ?
–  Non, j’ai gagné, pour des raisons de vice de forme. Les preuves ne tenaient pas légalement la route, même si elles étaient certainement valables. J’ai gagné, même si je ne suis pas prête d’être payée… Ceux qui ont perdu, ce sont les contribuables qui ont réglé la note, directement prélevée sur les impôts. Et je peux te citer dix autres affaires du même acabit. En fait, je vais te paraître naïve mais j’en ai marre. Il me reste encore entre quinze et vingt ans de vie professionnelle, j’ai envie de les mettre au service de gens qui le méritent.
–  Qui te méritent. Marianne se mit à rire.
–  Tu es gentille.
–  Non, je te comprends.
–  Tu crois que Bruno voudrait bien m’engager ?
–  Comme collaboratrice ou comme associée ?
–  Je préfèrerais comme associée évidemment.
–  Le mieux serait que tu lui poses la question. Ce n’est pas le genre de type qui aurait peur que tu lui fasses de l’ombre. C’est un type bien, mais il a aussi un ego respectable, comme tout bon avocat. Le défi peut l’intéresser. La grande Marianne Bel comme recrue, c’est chic !
–  Fous-toi de moi. Et toi, tu ne m’as toujours pas répondu ? Qu’est-ce que tu en penses ?
–  Pour moi, c’est oui à cent pour cent. D’abord parce que ça veut dire qu’on travaillera ensemble, ou en tous cas à côté l’une de l’autre. Ensuite, je pense que tu as beaucoup à m’apprendre. Et en plus…
–  Tu as la même expression que quand tu étais petite fille et que tu me faisais une de tes blagues… Qu’est-ce que tu vas m’annoncer ?
–  Si jamais vous tombez amoureux et que vous vous mariez, je veux que tu me promettes de me prendre comme demoiselle d’honneur.
–  C’est malin.
Pourtant, Marianne se sentit rougir. Avec sa plaisanterie, Gaëlle ne s’était pas trompée. Walmer ne l’avait pas laissée indifférente.

 

 

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