DAJMA | Chapitre 27 – La Cité des Secrets
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Chapitre 27 – La Cité des Secrets

Je ne veux être une charge pour personne
Gaëlle vivait dans un charmant petit appartement de soixante-quinze mètres carrés qui donnait sur un parc floral, le parc aux mille parfums (c’est ainsi qu’un poète du cru l’avait surnommé). Ce parc vert et peuplé d’essences rares faisait l’enjeu d’une bataille entre la Mairie (qui voulait le vendre) et les habitants du quartier regroupés dans une association de défense. La vue était ravissante, et en conséquence le loyer un peu cher pour elle.
Sa première pensée, en entrant, fut qu’elle ferait bien de quitter cet appartement dont elle ne pouvait plus profiter, pour un rez-de-chaussée plus proche du bureau – si toutefois elle réussissait à continuer à travailler comme avocate.
Elle avait le sentiment de connaître son logis par cœur, et pourtant elle se cogna le coude au coin d’un radiateur en entrant dans la cuisine, et eut un moment de panique en cherchant sa chambre. Elle devait tout réévaluer avec les sens qui lui restaient, compter et mesurer ses pas, ne pas se tromper sur le sens d’ouverture des portes… C’était effarant, à quel point la vue empêchait la mémoire des gestes et des mouvements. Elle ignorait un espace dans lequel elle s’était mue des milliers de fois.
Marianne fit une liste de courses, mais Gaëlle refusa catégoriquement qu’elle allât acheter à sa place ce qui lui manquait.
–  Ça va être compliqué au début, mais il n’y a aucune raison que je ne m’en sorte pas, dit-elle.
–  Tu acceptes au moins que je vienne les faire avec toi ?
–  Oui. La première fois. Mais après, je me débrouillerai. Je ne veux être une charge pour personne.
–  Tu n’es pas une charge pour moi, protesta Marianne. je serais ravie que tu me rendes ce service si c’était moi qui…
–  Je ne crois pas. En tous cas ce n’est pas ce que tu m’as appris. Ok. On va remplir le frigo, et après j’irai au cabinet.
–  Aujourd’hui ?
–  Pourquoi pas ? C’est mieux que de rester à me morfondre ici, non ?
Marianne la regarda, soucieuse. Elle savait que Gaëlle avait déjà réfléchi à son avenir dans le cabinet de Walmer, mais elle n’avait aucune idée de la façon dont cela allait se passer. Même si Bruno était un bon patron, qu’allait-il faire d’une collaboratrice qui ne pourrait plus consulter aucun dossier ? Y avait-il encore une place pour elle ?
–  Je sais ce que tu penses, dit celle-ci en réponse aux doutes de Marianne. Je suis comme toi, mais après tout on verra bien. De toute façon, il faut que je travaille, et j’espère que Bruno ne me laissera pas tomber.
–  Pourtant il ne t’a pas appelée pour prendre de tes nouvelles ?
–  Pas directement. Je sais qu’il a appelé le chef du service, à l’hôpital.
–  Ah oui?
–  Oui, il est discret. Il savait que tu étais là, avec moi… Il n’a pas voulu se montrer intrusif.
Elle eut un petit rire sans joie.
–  Si tu penses à la déception que j’ai eue avec mon amie… Je ne crois pas qu’avec Bruno je risque la même chose. C’est un mec bien, lui.
–  Eh bien allons-y, dit Marianne.
Plus jamais elle n’autoriserait qui que ce soit à l’humilier
Valérie en avait assez de se faire maltraiter et humilier. D’abord par son mari, ensuite par ce salaud de tueur évadé. Recroquevillée dans le coffre trop petit, elle ne se faisait pas d’illusions sur les promesses de son ravisseur. Il allait l’abattre. Et peut-être la violer avant, tant qu’à faire.
Sa vie et tout ce qu’elle aimait allaient lui être arraché d’ici quelques minutes. Le néant. Ses dernières minutes conscientes : auto apitoiement puis destruction finale – ou révolte et quand même destruction finale. En tous cas, quelle que soit la voie qu’elle allait choisir, se dit-elle soudain avec une lucidité qu’elle ne se connaissait pas, elle n’avait plus rien à perdre.
A la réflexion empreinte de résignation succéda la colère, une colère folle, comme elle ne se souvenait pas d’en avoir éprouvé. Si elle survivait, plus rien ne serait jamais comme avant. Plus jamais elle ne se laisserait traiter de façon ignominieuse, plus jamais elle n’autoriserait qui que ce soit à l’humilier. Plus jamais.
Forte de cette mutation mentale, elle commença à tâtonner autour d’elle et sous elle, sentant que le tapis sur lequel elle était couchée en chien de fusil était amovible. Si seulement elle arrivait à glisser sa main dessous, peut- être trouverait-elle de quoi se libérer, qui sait même, faire sauter la serrure du coffre… Heureusement, il avait allumé la radio, et le son grésillant pouvait couvrir ses tentatives.
Elle finit par réussir à déplacer la trappe qui se trouvait sous le tapis et glissa la main, se râpant douloureusement la peau de l’avant-bras au passage…
Quelques minutes plus tard, la voiture se mit à cahoter brutalement, et elle se cogna la tête à un des montants du coffre.
La voiture ralentit, cahota encore mais plus doucement, et finit par s’immobiliser.
Le moteur s’éteignit et elle sut que son heure était arrivée. Elle n’était pas religieuse, mais elle adressa quand même une petite prière à Quelqu’un, quel qu’il soit. Et une pensée à ses filles adorées. Non, pas le moment de s’attendrir.
En entendant l’homme trifouiller la serrure du coffre, elle ferma les yeux pour ne pas être trop éblouie par le retour de la lumière.
En les rouvrant graduellement, elle entrevit au dessus d’elle la silhouette en contrejour, qui se penchait. Elle dégagea le bras droit coincé dans son dos, entendit une brève exclamation, et cogna de toutes ses forces avec le démonte-pneu qu’elle avait réussi à extirper de la trappe.
Elle sentit le coup résonner dans son bras jusqu’à l’épaule, entendit le hurlement de douleur de l’homme, et se tortilla frénétiquement pour sortir du coffre, sans lâcher le lourd tube d’acier plein.
Son ravisseur était au sol, le visage en sang, gémissant de douleur.
Elle leva l’arme pour le frapper à nouveau, mais il paraissait tellement pitoyable, à moitié inconscient, le sang s’écoulant de son nez et de son front, qu’elle ne réussit pas à achever son geste.
Elle le contourna et ouvrit la portière côté conducteur. Elle s’assit au volant, referma et tourna la clé en espérant que cela allait marcher. Le moteur hoqueta mais ne démarra pas. Quatre fois sur cinq, elle ne redémarrait pas à chaud. Elle prit une profonde inspiration et recommença. Le moteur hoqueta à nouveau, et se tut.
Exaspérée, elle frappa le volant, et fouilla dans son sac à la recherche de son téléphone.
Elle le mit en marche, composa le numéro d’urgence. Il n’y avait pas de réseau. Elle hurla : « Merde ! » et regarda pour la première fois où elle se trouvait.
L’homme les avait emmenés en lisière de forêt, face à une ferme qui avait l’air d’être abandonnée. Sur le mur de la grange attenante à la ferme, des taggueurs avaient peint de vastes fresques à la bombe, lettres géantes emboîtées, grises, vertes et noires, entremêlées d’éclairs rouges. Cela pouvait être la veille ou six mois plus tôt. La peinture brillait au soleil.
Ils n’avaient pas roulé longtemps, cette ferme ne devait pas se trouver à plus d’une quinzaine, vingt kilomètres tout au plus de la ville.
Elle redémarra. Cette fois encore le moteur hoqueta, et ô divine surprise, ne s’arrêta pas. Elle se contraignit à appuyer tout doucement sur l’accélérateur avec le pied droit et sur l’embrayage avec le pied gauche, pour aider le moteur à ne pas caler. Le ronron du quatre cylindres s’affirma, et elle envisagea de passer la première.
A cet instant, la portière se rouvrit, elle se sentit saisie au col et arrachée de son siège. Elle hurla en se débattant, mais il était trop fort, et elle atterrit sur les fesses, le souffle coupé.
Cette fois, c’était bon. Elle avait fait ce qu’elle avait pu, elle s’était révoltée à la limite de ses forces, mais le sort avait tourné contre elle. Tout le monde s’y était mis, y compris le moteur de la voiture et son opérateur téléphonique. Non, c’est ma bêtise qui m’a perdue, se dit-elle. J’aurais dû jeter les clés et m’enfuir à pied. Encore un mauvais choix. Le dernier. Trop tard pour les regrets. Elle ferma les yeux et se laissa aller.

 

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