DAJMA | Chapitre 26 – La Cité des Secrets
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Chapitre 26 – La Cité des Secrets

Vous allez me tuer ?
Valérie se réveilla toute courbaturée.
En se penchant sur Estelle qui dormait encore, elle vit des traces de sel sur les joues de sa sœur. Elle avait pleuré en dormant.
Estelle se réveilla sous son regard et lui sourit.
–  Tu as dû passer une sale nuit, dit-elle.
–  Ça va très bien.
Estelle la fixa plus attentivement.
–  Non, ça ne va pas très bien, je te connais. C’est ton mari qui a encore déconné ?
–  Oui, reconnut Valérie, mais je n’ai pas envie d’en parler maintenant.
–  Il faut que tu divorces.
–  Oui, je sais.
–  Ah bon ? La semaine dernière, quand je t’ai dit ça, tu m’as dit…
–  C’était la semaine dernière. Je n’en peux plus. C’est un connard et une brute. Hier soir il avait encore bu, et s’il est rentré, je suis sûr que c’est parce qu’il n’a pas pu faire autrement. Il savait que tu étais à l’hosto et il ne m’a même pas prévenu.
–  Oui, tu me l’as dit hier soir. Est-ce qu’il s’est montré violent avec toi ?
–  Non, pas depuis la dernière fois. Mais c’est quand même fini. Rien que de le voir, j’ai envie de vomir.
Estelle haussa les sourcils. Valérie n’était pas comme ça d’habitude. Même de son mari, elle était incapable de dire vraiment du mal.
–  Il faut que j’y aille, conclut-elle avec un soupir. Je dois faire des courses et lui rendre sa voiture.
–  Ce n’est pas sa voiture, c’est autant la tienne que la sienne, non ? Tu gagnes ta vie, tu as un métier, tu es professeur des écoles, et tu paies les traites de votre maison !
–  Je sais, c’était juste une façon de parler.
–  Non ! C’est pire que ça, c’est comme s’il avait tous les droits ! Il faut que tu arrêtes, sinon tu vas finir par accepter de divorcer à tes torts et tu devras lui verser une pension !
Valérie fit la grimace puis se mit à rire. Sa sœur avait raison. Elle l’embrassa sur le front.
–  Je vais revenir tout à l’heure. Il y a quelque chose qui te ferait envie ?
–  Oui. Que tu me dises que tu as vu un avocat et que le divorce est en train.
–  Oui, je vais m’en occuper…
– Tu dis ça, mais ça va traîner, je te connais.
Valérie détourna le regard et Estelle comprit qu’elle avait raison. Sa sœur n’était pas encore mûre.
–  Bon, tant pis. Je vais te dire quelque chose qui va peut-être te décider à aller un peu plus vite.
–  Quoi?
–  Tu te souviens quand on est allé au mariage de notre cousin, Armand ?
–  Oui, c’était l’année dernière en juin. Pourquoi ?
–  Tu te souviens que j’avais fichu ma robe en l’air dans des ronces, le soir.
–  Oui… Tu étais furieuse. Et alors ?
–  Tu sais pourquoi j’ai fichu ma robe en l’air ?
–  Oui, tu étais fatiguée et tu as pris un raccourci pour rentrer à l’hôtel…
–  Non, je n’étais pas fatiguée. J’étais folle de rage. Alors j’ai préféré quitter la fête et je me suis perdue…
Valérie se sentit défaillir. Elle devina ce que sa sœur allait lui dire avant que les mots ne sortent de sa bouche.
–  Tu étais folle de rage contre… Laurent ?
–  Oui. Et je vais te dire pourquoi. Il m’avait suivie dans le château, quand je suis allée aux toilettes à l’étage, et il a essayé de me sauter. Je te jure que je ne suis pas passée loin.
–  Oh non… Comment tu t’es débarrassée de lui ?
–  Je l’ai frappé avec une bouteille de détergent qui trainait sur le lavabo.
–  C’est pour ça qu’il puait l’eau de javel et qu’il avait les yeux rouge vif…
Il traîne une conjonctivite depuis ce temps là.
–  Bien fait pour sa gueule !
–  Je me souviens… Il m’avait sorti je ne sais quelle excuse… Pourquoi tu ne m’as rien dit ? Il t’a menacée ?
–  Non… Il était bien trop occupé à se rincer le visage. Non. Je me suis dit qu’il était assez puni comme ça, et puis je ne voulais pas faire d’histoires… Tu avais l’air de bien t’amuser pour une fois, ce n’était pas sympa de gâcher ta soirée.
–  Et moi je n’ai rien vu… Rien compris… Valérie se sentait faible. Elle s’assit sur le lit.
– Je suis désolée, Val, dit Estelle en lui caressant le bras. Je ne voulais pas te faire du mal…
Valérie reprit d’une voix sourde.
– C’est pour ça que tu te débrouilles pour ne jamais rester seule avec lui.
Je me suis dit que c’était juste parce qu’il t’énerve, parce qu’il n’est pas sympa… Quelle idiote je fais ! J’ai honte de moi ! Et moi qui critique les mères qui ne voient pas que leur mari abuse de leurs enfants… Je suis pareille !
–  Non. Tu ne pouvais pas deviner !
–  Je vais prendre rendez-vous avec un avocat tout à l’heure.
–  Tu as un nom?
–  Ne t’en fais pas, je vais trouver.
Forte de sa résolution, Valérie avait repris des couleurs. Elle se leva, les yeux brillants.
– Je reviens ce soir. Promis. Avec du nouveau.
En arrivant à l’accueil, Valérie vit son mari qui l’attendait. Sa colère était presque passée, grâce à sa décision. Restait le dégoût.
Il avait dessaoulé de la veille, s’était même rasé et parfumé. Cela ne changeait rien pour elle. Dire qu’elle avait été amoureuse de lui…
– Comment va-t-elle ? demanda-t-il.
Elle faillit répondre « Depuis quand ça t’intéresse ? », mais à quoi bon se disputer avec lui. Il n’en valait pas la peine. C’était fini.
–  Elle va bien.
–  Elle fait partie des témoins potentiels. Je vais devoir l’interroger.
–  Je te conseille de lui fiche la paix, dit Valérie, glacée. Elle n’a rien vu.
–  Je vais devoir quand même l’interroger.
–  Alors envoie quelqu’un d’autre. Si tu ne veux pas qu’elle porte plainte pour tentative de viol contre toi.
–  Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?
–  Elle m’a raconté ce qui s’est passé au mariage d’Armand.
Laurent ouvrit et ferma la bouche comme un poisson hors de l’eau.
–  Elle t’a dit n’importe quoi. C’est elle qui est venue me chercher. Ta sœur est une petite pute. Ça fait des années qu’elle se tortille devant moi et qu’elle me provoque. Il n’y a que toi qui n’es pas au courant.
–  Traite-la encore une fois de pute et je vais voir ta patronne et tout déballer. En attendant, j’ai des courses à faire. Salut.
Au moment où elle tournait les talons, elle entendit une galopade et vit un homme foncer vers Laurent. Elle le reconnut au dernier moment, c’était un des enquêteurs de son mari.
– Le gars s’est échappé ! dit-il, le visage congestionné et les yeux fous. Laurent oublia aussitôt sa femme. Il repartit en courant, suivi par son adjoint.
Valérie ricana. Elle n’avait aucune sympathie pour le tueur, mais quand même, elle avait presque envie de lui souhaiter bonne chance.
En montant dans sa voiture, elle songeait encore aux ignominies que son mari avait osé dire. Mais elle savait qu’elle ne porterait jamais plainte, car c’était se sœur qui risquait d’en subir les conséquences. Tous les flics n’étaient pas comme Laurent, bien sûr, et la patronne de la police urbaine,
Sophie Heider, avait plutôt bonne réputation, mais elle ne leur faisait tout de même qu’une confiance très limitée.
Un fourgon arrivait, sirène deux tons plein pot et gyro allumé, au moment où elle franchissait le seuil du parking. Il freina juste devant elle. Le chauffeur la reconnut et la salua d’un signe de main, l’invitant à sortir avant qu’il ferme le passage. Elle le salua à son tour et tourna dans la rue en accélérant, se sentant – ce qui ne lui arrivait pas souvent – privilégiée. Quelques centaines de mètres plus loin, elle stoppa au feu rouge et mit son clignotant à droite. Direction, l’école.
Machinalement, elle leva les yeux vers son rétroviseur et vit deux yeux verts la fixer. Au même moment, elle sentit une pointe dure s’enfoncer dans sa gorge.
–  Vous allez redémarrer bien tranquillement quand le feu sera passé au vert et vous allez sortir de la ville côté sud, dit l’inconnu. Bien calmement, bien tranquillement, et il ne vous arrivera rien. Sinon…
–  C’est bon, réussit-elle à dire malgré la terreur qui prenait possession de tout son être.
Elle poussa le levier de vitesse et démarra presque sans à-coup.
–  Parfait, dit-il, vous n’êtes pas une paniquarde. Ne dépassez surtout pas la vitesse autorisée. Et n’oubliez pas vos clignotants.
–  Les enfants, dit-elle. Ils m’attendent.
–  Si vous avez des enfants, ils sont à l’école, dit-il, et ils peuvent attendre.
–  Justement, je suis institutrice…
–  Eh bien ça leur fera une récré. Vous allez les revoir, ne vous en faites pas. Concentrez-vous sur la route.
Quinze minutes plus tard, ils étaient sortis de la ville par la rocade sud et il lui indiqua une bretelle.
–  Sortez là.
–  Vous allez me tuer ?
–  Non, je ne vais pas vous tuer.
Il lui fit emprunter une route secondaire quelques kilomètres plus loin.
–  On va droit vers la forêt, dit-elle, vous allez me tuer.
–  Non ! Arrêtez de dire des conneries ! Je ne vous veux aucun mal. Tout ce que je veux, c’est ne pas aller en prison. Tournez là.
Elle s’exécuta, tout en se demandant si elle n’aurait pas dû accélérer et foncer dans un arbre. Mais le temps qu’elle se pose la question, il était trop tard.
– Stop ! Arrêtez vous. Elle freina.
– Otez les clés du contact. Et maintenant, sortez de voiture.
Elle ouvrit la porte et posa les pieds sur la terre du chemin. Il la suivit.
– Ne vous retournez pas.
Il l’emmena vers l’arrière de la voiture.
– Ouvrez le coffre.
– Non!
– Vous n’avez aucune raison d’avoir peur. Je pourrais vous assommer et vous laisser ici. Je ne le fais pas. Tout ce que je veux, c’est vous empêcher d’avertir les flics trop tôt. Je vous relâcherai en rase campagne, ce qui me donnera le temps de m’échapper. Allez, ouvrez ce coffre.
Elle lui obéit, consciente qu’elle faisait la plus grosse connerie de sa vie.
Il la poussa sans violence, et referma sur elle.
Juste avant qu’il referme, elle eut le temps de voir son visage maigre et mal rasé, et surtout sa main qui était censée tenir l’arme qu’il lui avait enfoncée dans le cou. La main était vide. Il n’avait pas d’arme.

 

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