DAJMA | Chapitre 20 – La Cité des Secrets
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Chapitre 20 – La Cité des Secrets

Je suis bien malade
Jean-Claude Dolf était en train de subir des batteries de tests dans un hôpital distant de cent kilomètres quand son portable vibra dans sa poche de pantalon.
Il était allongé sur un lit, torse nu et en chaussettes, et on venait de lui injecter dans les veines un produit légèrement radioactif qui allait servir de marqueur; il s’imaginait le poison scintillant en train de remonter doucement le long des canaux pour se fixer sur ses cellules malades ou endommagées. Un poison salvateur.
Il était inscrit sous le nom de Pierre Guillaume, retraité, et personne n’avait semblé le reconnaître. Son visage était beaucoup moins connu que celui de son frère Samuel.
Par précaution, il avait tout de même chaussé des lunettes à montures épaisses et il dissimulait le bas de son visage derrière un livre ouvert.
Il grimaça en découvrant le nom de Kramer sur l’écran du portable. C’était à Kaplan que Kramer devait rendre compte, sauf extrême urgence ou indisponibilité de Kaplan. Dolf doutait que l’une ou l’autre de ces raisons soit la bonne, mais il décrocha et attendit.
–  Bonjour Monsieur, dit Kramer, je dois vous informer que la police n’est encore arrivée à rien. Sophie Heider refuse qu’on fasse pression sur les squatters de la rue Haute…
–  Tout cela, c’est à Kaplan que vous devez le dire, coupa Dolf. Je ne vous paie pas pour m’encombrer avec des détails.
–  Mais Kaplan…
–  N’est pas joignable ? Est-ce une raison pour me déranger ? Attendez qu’il soit joignable et ne m’importunez plus.
Il raccrocha, avisant l’air étonné de la jeune interne penchée sur son bras. Le ton qu’il avait employé cadrait mal avec sa fiche de travailleur retraité.
Il aperçut la naissance de son sein et la dentelle du soutien-gorge noir sous la blouse qui baillait, et fut tenté d’y glisser la main.
Il sourit à la jeune femme et lui fit un clin d’œil. Elle sourit en retour et rougit un peu.
Le charme Dolf opérait toujours. Il s’imagina en train de la faire basculer sur le lit et de lui ôter son slip. Intellectuellement, l’image lui plaisait, mais il ne ressentit pas la moindre excitation physique.
Je suis bien malade, songea-t-il, pour ne même pas avoir envie de sauter une fille aussi fraîche.
– Il n’y en a plus pour longtemps, dit-elle. Tout va bien ?
Rien ne va, songea-t-il, mais il grogna un assentiment. Juste pour qu’elle se taise.

Elle n’avait été amoureuse qu’une fois, elle l’était d’ailleurs encore.
Fanny Gillardi était allongée nue dans la pénombre, sur une pile de tapis de gym en mousse épaisse d’un bon mètre, le ventre et les cuisses protégées de la mousse synthétique par une serviette blanche moelleuse à l’effigie du club – un aigle noir ailes déployées à l’intérieur d’un cercle -, les jambes pendantes et les fesses offertes. Elle se trouvait en compagnie de son amant Guillaume Kramer, dans une petite salle annexe qui tenait de lieu de remise et d’entrepôt pour les machines en bout de course, les archives comptables et les fournitures.
Afin d’éviter toute mauvaise surprise, la porte à double battant était bloquée de l’intérieur par un antivol de vélo.
La salle de sport qu’elle dirigeait se trouvait aux premier et deuxième étages d’une ancienne manufacture de porcelaine dont les autres niveaux avaient été réaménagés en bureaux, un immeuble industriel situé à quelques centaines de mètres à peine du squat où Thomas Magnus avait été appréhendé. Depuis les larges fenêtres aux montants métalliques de la salle principale peuplée d’appareils de musculation et d’effort, on surplombait l’est de la ville, et on pouvait même apercevoir les toits rougeâtres du lotissement du Puiseux, et beaucoup plus loin, par beau temps, les collines mauves, annonciatrices des premiers contreforts montagneux.
Fanny n’était ni patiente ni particulièrement altruiste, mais elle ne voyait aucun inconvénient à exposer son fessier sans défaut à Kramer, tandis qu’il faisait les cent pas sur le parquet verni, aussi peu vêtu qu’elle, le téléphone collé à l’oreille et le sexe pendouillant. Le téléphone de Kramer avait sonné au mauvais moment, il avait quand même décroché, échangé quelques mots, raccroché, décroché à nouveau, et la conversation était devenue intéressante. Elle avait assisté à sa déconvenue quand Dolf lui avait raccroché au nez, et enregistré avec beaucoup d’intérêt la suite, quand il avait enfin réussi à joindre Kaplan.
Guillaume Kramer, proche des cercles du pouvoir et source d’informations constantes, était pour Fanny une relation précieuse et méritait certains égards. A trente-sept ans, elle possédait la plus belle salle de sport de la ville, et plusieurs studios près du complexe universitaire, qu’elle louait à des étudiants. Elle avait également des revenus annexes qu’elle ne déclarait pas au fisc. Mais elle avait toujours peur de retomber d’où elle était partie, c’est à dire du néant. Et sa relation avec Kramer était pour elle un vrai atout – même si Kramer n’était qu’un des éléments de son réseau de notables. Tout en contractant alternativement fesses, abdos et mollets, par habitude, et en rythme avec la lointaine musique du cours d’abdo-fessier qui lui parvenait à travers le plancher depuis l’étage en dessous, elle tâchait de deviner ce qui se disait à l’autre bout de la ligne. A chaque passage, Kramer lui caressait le postérieur d’une main distraite, mais le cœur n’y était pas.
Il raccrocha enfin, jeta le portable sur le tas de vêtements qui gisait au pied de la pile de tapis, et se posta derrière Fanny prêt à reprendre leur activité là où ils s’étaient interrompus. Mais son sexe n’était pas encore à l’unisson. Au bout d’une minute d’attente infructueuse, la jeune femme se retourna et posa la plante des pieds sur la poitrine de l’homme, le tenant à distance.
–  Des soucis avec ton boss ? dit-elle en remontant les deux pieds et en lui caressant le cou du bout des orteils.
–  Avec le Serpent, ça va, il sait que je ne peux pas faire de miracles… C’est cette salope de Heider qui me met des bâtons dans les roues.
–  La commissaire ?
–  Tu en connais une autre? Elle se la joue fonctionnaire intègre, heureusement qu’ils ne sont pas tous comme ça. Quand je pose des questions, elle me renvoie au procureur… Elle se fout de notre gueule !
–  Et ton copain Ménard ?
–  Tu parles d’une aide. Il chie dans son froc devant elle.
Il lui attrapa les cuisses et se frotta contre ses fesses douces. Elle se tortilla en passant les mains sous ses cuisses et lui attrapa le sexe.
–  Tu ne m’aides pas à me concentrer, dit-il pour excuser sa mollesse.
–  Tu as déjà torturé des gens ?
–  Pourquoi tu me demandes ça ?
–  Si tu pouvais, tu torturerais le tueur pour le faire parler ?
–  Pas besoin. Il suffirait de lui promettre une dose d’héro. C’est un camé. Elle le sentit grossir dans sa main. Il émit un petit grognement de plaisir. Etait-ce l’évocation de la torture ou celle du tueur qui l’avait excité ? En tous cas il avait retrouvé assez de vigueur pour qu’elle le guide en elle.
– Putain, que c’est bon, dit-il. Ce sont tes exercices pelviens qui te donnent une chatte si étroite ?
Elle ricana.
– Ton romantisme te tuera.
Il entama un va et vient en douceur, ressortant presque à chaque retour, et elle sentit l’excitation la gagner. Elle leva les yeux vers son visage. Il ne la regardait pas, et fixait un point indéterminé, derrière elle, quelque part au milieu des étagères pleines d’archives.
– Tu ne voudrais pas qu’on parte loin d’ici tous les deux ? reprit-il d’une voix assourdie. Dès que j’aurai assez de blé… J’ai entendu parler d’un hôtel à vendre, au sud de Madagascar… Paysage de rêve… Clientèle choisie… J’ai des contacts… On serait comme des rois là-bas.
Si seulement il pouvait se taire, songea Fanny.
– Oui mon chéri, dit-elle en effectuant des mouvements de bassin de moins en moins contrôlés. Ce-serait-merveilleux, hoqueta-t-elle, en incrustant les talons contre ses reins pour l’enfoncer en elle.
Son approbation était sans risque. L’argent filait entre les doigts de Kramer, il était incapable de mettre de côté de quoi lui acheter le collier Cartier qu’il lui avait promis, alors un hôtel… Elle n’avait pas la moindre intention de quitter son petit appartement douillet et sa salle de sport adorée, la place privilégiée qu’elle s’était faite, et d’où elle avait le sentiment de maîtriser une grande partie des courants souterrains qui faisaient battre le cœur de la ville. Fanny amoureuse aurait peut-être suivi son amant au bout du monde, mais elle n’avait été amoureuse qu’une fois, elle l’était d’ailleurs encore, et ce n’était pas de Kramer.
–  C’est vrai ? Tu penses ce que tu dis ?
–  Ou-i, ou-i, dit-elle, pressée de jouir.
Elle n’aimait pas laisser ses deux coaches – et hommes à tout faire – trop longtemps seuls avec les clients. Elle ne les avait pas choisis pour leur envergure intellectuelle, et en cas d’incident, ils n’étaient pas fichus de prendre une décision sensée sans en référer à elle.

 

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