DAJMA | Chapitre 13 – La Cité des Secrets
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Chapitre 13 – La Cité des Secrets

Je préfère que tu t’en ailles
Aladin Bouchard, le père de Gaëlle, revint à l’hôpital dès le matin, sans Aurélie cette fois, qu’il n’avait pas conviée. Pour lui, il était impensable que sa fille reste confinée là, alors qu’il pouvait lui donner tous les soins nécessaires à domicile. Son nom et sa réputation étaient en jeu.
Marianne était allée prendre une chambre d’hôtel, ce qu’elle n’avait pas eu le temps de faire la veille, et attendait qu’il soit neuf heures pour appeler ses associés à son cabinet et se décharger de ses rendez-vous de la semaine. Heureusement, ses affaires en cours n’avaient pas de caractère d’urgence.
–  Tu seras bien mieux à la maison, dit Aladin à sa fille Gaëlle, je te donnerai toute une aile s’il le faut, je t’engagerai une assistante, j’engagerai du personnel spécialisé…
–  Pas question, papa, dit Gaëlle d’une voix douce et ferme. L’hôpital c’est parfait, et de toute façon je ne compte pas y rester longtemps.
Aladin, malgré son caractère, se sentait démuni face à elle.
–  Et tu iras où ? fit-il interloqué.
–  J’irai dans mon appartement, bien sûr.
–  Mais comment tu feras, si… ?
–  Si je suis toujours aveugle, tu veux dire.
Aladin ne répondit pas, intimidé par la franchise brutale de sa fille.
–  Je me débrouillerai, ne t’inquiète pas.
–  Non.
–  Papa, ne me force pas à me mettre en colère ou à pleurer. Si je sonne, ils vont te mettre dehors.
–  Ça, ça m’étonnerait.
–  Qu’est-ce que tu veux dire ? Tu vas te battre avec des infirmiers dansma chambre ?
Aladin la regarda, paralysé. Devant sa fille, il devenait incapable d’imposer sa loi.
–  Ma chérie, dit-il doucement. Je ne veux que ton bien. Je ne supporte pas l’idée que tu ne sois pas bien traitée…
–  Qui te dit que je ne suis pas bien traitée ?
–  ….
–  Papa, je sais que ça part d’une bonne intention, mais je préfère que tu t’en ailles, maintenant. On s’occupe très bien de moi ici, je t’assure.
Dites-lui que je l’embrasse.
Marianne croisa Aladin dans le hall de l’hôtel. Il la salua à peine et s’engouffra dans sa voiture garée sur un emplacement d’ambulance.
Il lui en voulait toujours, songea-t-elle. Elle était sans doute une des très rares personnes à l’avoir emporté sur lui – à part Gaëlle. Ce qui pour Marianne avait été un sursaut vital avait été vécu par lui comme une terrible humiliation. Etait-ce pour cette raison qu’il avait épousé sa sœur plus jeune ? A quel moment s’était-il tendu compte qu’il n’y avait aucun point commun entre les deux femmes, à part la taille et la blondeur ? Au lit, dès la première nuit, ou plus tard ? Mais il n’était pas exclu, se dit-elle, qu’il n’ait jamais perçu, tant son mépris des autres était prédominant, à quel point les deux sœurs étaient différentes, et même opposées en tout.
Au moment où elle prenait l’ascenseur, inquiète à l’idée de la confrontation qui avait du avoir lieu entre Aladin et sa fille, une jeune femme l’interpella par son nom.
–  Excusez-moi, dit-elle, je suis Sonia, une amie de votre belle-fille.
–  Gaëlle m’a parlé de vous… J’ai essayé de vous joindre, en vain. Mais comment m’avez-vous reconnue? s’étonna Marianne. On ne s’est jamais vues !
–  Il y a une photo de vous dans le portefeuille de Gaëlle. Elle me l’a montrée.
Marianne ne le savait pas, et se sentit d’autant plus émue.
–  Comment va-t-elle ? poursuivit la jeune femme.
–  Aussi bien que possible… Vous pouvez monter la voir, si vous voulez.
–  Non, je n’ose pas. J’aimerais que vous lui donniez ce mot. J’allais le donner à l’accueil.
–  Mais je ne pense pas… Commença Marianne.
Déjà la jeune femme s’esquivait.
– Merci. Merci. Dites-lui que je l’embrasse.
Elle courut presque vers la sortie, et disparut de sa vue.

Ne lui faites pas de mal
En arrivant au commissariat central, le capitaine Ménard apprit qu’on lui avait laissé un message. Un message anonyme.
Il n’y avait qu’une transcription écrite, et approximative : « X déclare avoir vu un individu semblable à la personne recherchée rue Madame à l’angle du passage du Ruisseau et de la rue Haute. »
Ménard relut le message, en visualisant la carte du centre-ville. Il s’était arrêté dans ses recherches la veille à une centaine de mètres de la rue Haute. Se pouvait-il que ce tuyau ne soit pas bidon ?
Il rafla quelques photos et adressa un signe à ses séides. Les affaires reprenaient.Ils frappèrent avec les crosses de leurs armes contre le portail du squat de la rue Haute. A peine la vieille porte métallique fut-elle entrouverte qu’ils la repoussèrent brutalement et s’engouffrèrent dans la cour.
Ménard saisit par le col le jeune homme qui avait ouvert et le plaqua contre le mur. Le garçon portait une tenue vaguement militaire, un chapeau andin à dominante rouge et jaune, et un bouc effiloché qui pendouillait à son menton pointu. Ses yeux noirs étaient écarquillés de peur.
Ménard lui colla la photo du suspect devant le visage.
– Tu connais ?
Le jeune homme affolé secoua la tête.
Ménard le retourna face au mur, fouilla rapidement et efficacement les poches de la vareuse sale, en sortit un portefeuille en tissu et l’ouvrit. Il contenait quelques euros, un billet de cent pesos de la Banco Central de Chili, une photo de fillette, des reçus de CB rédigés en espagnols, une carte bleue chilienne, et un passeport.
Il jeta le tout par terre et poursuivit sa fouille. Il trouva cette fois un jeu de clés, une carte de la ville, de la monnaie en euros, du papier à rouler et un peu de tabac. Il renifla le tabac et le sachet rejoignit les autres objets sur le pavé.
– Qu’est-ce que tu fiches en France ? demanda-t-il à sa victime sans cesser de la plaquer contre le mur. Tu sais que tu n’as pas le droit d’habiter ici ?
Entretemps, d’autres squatters étaient sortis et se rassemblaient dans la petite cour. Ils n’étaient pas loin d’une dizaine. Les acolytes de Ménard se regardèrent, en alerte, et posèrent la main sur la crosse de leurs armes. Une jeune femme sortit du groupe et s’avança. Elle portait une salopette bleue de garagiste, les manches roulés sur ses avant-bras ronds et bronzés, et de grosses chaussures de chantier. Des trous minuscules, traces de projection de soudure, parsemaient le devant de sa salopette.
– Il n’a rien fait de mal. Qu’est-ce que vous lui voulez ?
Ménard lâcha le jeune homme et fonça sur elle. Elle était plus grande que lui et ne recula pas. Ménard avait déjà entendu parler d’elle. Sabine Legrand. Une sale gauchiste, probablement gouine.
– On peut la jouer de deux façons, dit-il. Soit on fout le boxon et on vous embarque tous pour contrôle d’identité, soit vous répondez à une simple question et je saurai si vous mentez.
Il exhiba à nouveau la photo.
–  Est-ce que vous avez vu ce gars hier ou aujourd’hui ?
–  Qu’est-ce qu’il a fait ? dit la jeune femme.
Ménard était tenté de lui envoyer son poing dans la figure, mais il se contenta de sourire et s’adressa à toute la troupe.
– Si vous savez quelque chose et que vous le cachez, vous serez mis en examen pour complicité de meurtre.
La jeune femme hésita. Protéger des sans-papiers, ou des jeunes en rupture de ban, c’était une chose, des meurtriers, c’en était une autre… Il se focalisa à nouveau sur elle.
– Ça te dit?
–  Qu’est-ce qui nous prouve que vous ne mentez pas ?
–  On est assermenté, on ne ment jamais.
–  Ben tiens.
Elle se tourna vers sa troupe, cherchant des encouragements. Les artistes squatters paraissaient plutôt embêtés et assez peu belliqueux.
–  Bon, embarquez moi tout ça, et on fouille tout de la cave au grenier.
–  C’est bon, c’est pas la peine, il y a un type qui ressemble à ça qui loge ici depuis un moment. Mais il n’a rien d’un violent, c’est un écrivain…
–  Il est là?
–  Je ne l’ai pas vu partir…
–  Ok. Où?
–  Dernier étage au fond du couloir gauche. Ne lui faites pas de mal, il n’a rien d’un violent je vous dis. Pas la peine de le frapper.
–  Vous ne bougez pas.
Il fonça vers l’escalier métallique, suivi par ses hommes.

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