DAJMA | Chapitre 9 – La Cité des Secrets
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Chapitre 9 – La Cité des Secrets

Il y avait quelque chose de bizarre
Les photos tirées à partir de la vidéo de la banque ne permettaient pas de savoir à quoi leur suspect ressemblait. On pouvait se faire une vague idée de sa taille et de son allure générale, mais impossible de deviner ce qui se cachait sous le vaste imper couleur mastic. Impossible même d’être certain qu’il s’agissait d’un individu de sexe masculin.
Le laboratoire scientifique estima que l’inconnu mesurait entre un mètre soixante dix et un mètre quatre-vingt-deux et pesait entre 65 et 78 kilos. Sophie Heider fit néanmoins tirer plusieurs dizaines de copies des photos les plus précises à garder et à distribuer à tous les témoins potentiels. Ils scrutèrent les photos à la loupe, à l ‘affût du moindre détail. L’imper était de qualité et de facture indéterminé, mais il y avait quelque chose de bizarre, une irrégularité en bas d’un des pans… La pixellisation empêchait d’en savoir plus. Le capitaine Laurent Ménard avait fouillé les moindres recoins derrière la cathédrale, menacé, cogné, et distribué même quelques billets. Sans aucun résultat.

Il faut attendre.
Marianne et Aurélie se trouvaient dans les deux coins les plus éloignés de la petite salle, et évitaient de se regarder trop souvent.
Marianne ne pouvait s’empêcher d’avoir belle allure, malgré son état d’extrême anxiété, et même sa façon de balancer nerveusement le pied restait élégante.
Elle était dévorée d’inquiétude. Et chaque seconde qui passait la rendait un peu plus malheureuse. Elle aurait aimé pouvoir hurler. Walmer, assis à côté d’elle, tentait de la rassurer à mi-voix, en vain.
Aurélie regardait sa sœur à la dérobée, l’admirant malgré elle et d’autant plus mortifiée qu’elle se trouvait affreusement fagotée dans son manteau de cachemire par dessus ses vêtements de sport. Elle se sentait aussi ridicule et démunie que l’occupante d’un immeuble en flammes qui se retrouve en nuisette en pleine nuit au milieu de la rue. Gaëlle n’occupait qu’une part minime de ses pensées. Elle aurait bien aimé savoir ce que murmurait Walmer à sa sœur, qui après l’avoir saluée de loin d’un signe de tête, l’avait totalement ignorée. Elle aurait surtout aimé trouver un prétexte pour partir. Elle n’avait rien à faire là, seul un sentiment absurde des convenances et une curiosité tout aussi absurde l’avaient conduite à sauter dans la voiture de son mari, et elle regrettait amèrement cette pulsion.
Aladin Bouchard restait dans son coin, les poings crispés et le dos voûté. L’impuissance et l’attente le rendaient fou. Si seulement il pouvait faire quelque chose, prendre une de ces blouses blanches par le cou et la secouer jusqu’à ce qu’elle lui dise ce qu’il voulait entendre, que sa fille n’avait rien, rien, qu’ils la retenaient là pour rien.
Un médecin d’un cinquantaine d’années – le patron du service – les rejoignit enfin. Aladin Bouchard, Marianne Bel, et Bruno Walmer s’agglutinèrent aussitôt autour de lui, et Aurélie se sentit obligée de suivre le mouvement. En se levant, elle s’aperçut à sa profonde horreur que le kleenex imbibé de sperme qu’elle serrait entre ses cuisses était tombé à ses pieds, mais personne n’avait rien remarqué, et elle le repoussa du pied sous son fauteuil.
– D’abord, je tiens à vous rassurer, la vie de Gaëlle n’est pas en danger, dit le médecin.
Marianne faillit fondre en larmes.
– Mais il y a toutefois une complication. Un hématome intracrânien a comprimé le nerf optique, et dans l’état actuel elle a perdu la faculté de voir.
Quoi ? Qu’est-ce qu’il avait dit ? Marianne se tourna vers Bruno Walmer, perdue. Il lui serra la main et murmura :
–  Attendez.
–  Ça veut dire quoi ? dit Aladin d’une voix trop forte.
–  Ça veut dire que bien que ses yeux ne soient en rien endommagés, elle est aveugle, dit le médecin.
Marianne enfonça les ongles dans la paume de Walmer. Qu’est-ce que racontait ce crétin de médecin ? Aveugle, Gaëlle, sa Gaëlle ? C’était impossible. Inconcevable.
–  Je veux la voir, dit-elle.
–  C’est possible, mais une personne à la fois. Elle est sous sédatif, et toute agitation, toute conversation prolongée est à proscrire pour le moment.
–  Je suis son père, dit Aladin. Je veux la voir en premier. Je ne la fatiguerai pas.
Marianne voulut dire quelque chose, mais Bruno secoua doucement la tête. Elle n’insista pas. Ses jambes ne la portaient plus. Il le sentit et alla avec elle jusqu’à un fauteuil.
–  Quand l’hématome se résorbera, dit Aladin, elle verra à nouveau ?
–  Je ne peux pas vous répondre, dit le médecin. Personne ne peut répondre. Il faut attendre.
Mais comment ne pas y penser ? Pauline Verdier relisait le manuscrit. Romain était parti, et Sandra s’occupait de la boutique. Que devait-elle faire ? Appeler la police ? Qu’est-ce qu’elle leur dirait ? Tout cela n’avait aucun sens.
Si elle était maligne, elle détruirait le manuscrit et n’y penserait plus. Mais comment ne pas y penser ?

 

Version PDF : « Aurélie regardait sa soeur à la dérobée. » – Chapitre 9