DAJMA | Chapitre 7 – La Cité des Secrets
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Chapitre 7 – La Cité des Secrets

Ce que je veux, c’est le maximum de témoignages
Pendant que les techniciens de la police scientifique s’affairaient déjà entre les tables et les chaises renversées, prenant les mesures balistiques avec un système de fils tendus, photographiant le décor sous tous les angles, répertoriant les taches de matière organique et leur orientation, prélevant des échantillons de tout ce qui pouvait être prélevé, Sophie Heider organisait la traque du tueur dans un recoin du café à peu près intact, derrière le comptoir.
Face à elle, accoudés au bar, il y avait l’ensemble de ses OPJ, douze flics en civil qui avaient laissé tomber provisoirement toutes les affaires en cours.
–  Ce que je veux, c’est le maximum de témoignages, dit-elle. Vous devez commencer par retrouver tous ceux qui étaient dans le café et qui se sont enfuis, et vous interrogez tous les habitants – je dis bien tous les habitants et commerçants qui occupent un appartement ou un magasin dans les deux sens jusqu’à la Place des Pyramides au sud et l’avenue Dufour au nord. Il y a une caméra en face de la BNP et une autre plus loin, devant la bijouterie avant les Pyramides. Je veux les disques durs.
–  J’en ai déjà un, dit Laurent Ménard, son premier adjoint, en brandissant un petit parallépipède métallique prolongé d’un fil et d’une prise USB.
–  Bravo Ménard. D’où ça vient ?
–  D’en face la banque.
Sur un signe de Sophie Heider, un des flics ouvrit un ordinateur portable et le posa sur le zinc. Le capitaine Ménard brancha la prise du disque sur l’ordinateur.
Après quelques manipulations, une fenêtre noire s’ouvrit et un time-code défila au bas de la fenêtre.
Sophie Heider et les autres flics proches d’elle se regroupèrent devant l’écran.
La caméra était orientée légèrement de biais et vers le bas, et il était impossible de distinguer la terrasse du café du centre, trop éloignée.
Les passants et les voitures défilaient, grossissaient, rétrécissaient en bas de l’écran, suivant la courbure de l’optique à courte focale. Les couleurs étaient approximatives et bavaient latéralement.
Sophie soupira et regarda son portable qui venait d’émettre un bip.
– Voyez si vous pouvez en tirer quelque chose, dit-elle, mais ça m’étonnerait. Je vais voir ce qu’on peut obtenir des compagnes des victimes.
Là non plus, elle ne se faisait pas beaucoup d’illusion. Les deux femmes, même si elles n’avaient pas été touchées physiquement, devaient être en état de choc.


Il rappellerait plus tard
Un flic en tenue s’approcha du capitaine Ménard alors que Sophie s’éloignait.
–  Estelle Daubenton, ce n’est pas ta belle-sœur ? demanda-t-il à Ménard.
–  Oui, pourquoi ?
–  Je crois qu’elle fait partie des blessés. Elle est partie avant qu’on arrive.
–  Merde. Partie où ?
–  A la Timonerie je crois. C’est là qu’on regroupe tout le monde.
–  Putain de merde.
Il remercia le collègue d’un signe de tête et prit son portable. Il tomba sur la messagerie de sa femme. Il rappellerait plus tard.
Il raccrocha et se repencha sur l’écran de l’ordinateur.
Ronan, le jeune lieutenant, pointa une silhouette du doigt.
–  Je crois que je l’ai, dit-il.
–  Ça correspond aux descriptions qu’on a. L’imper, le bonnet…
L’homme en imper remontait le trottoir. Il gardait la tête baissée et les deux mains le long du corps. Il sortit brusquement à droite du cadre, et disparut.
–  Il a pris le passage Saint-André, je parie, dit Ménard. Si ça se trouve il va se réfugier dans un des squats derrière la cathédrale. Putain, j’y vais.
–  Je viens avec toi ?
–  Non. Toi tu fais des agrandissements de l’image.
Il héla deux autres flics et fila avec eux.
Ronan fit des captures d’écran de différentes tailles. Il les exporta vers l’imprimante du commissariat central et sortit sur le trottoir. Un soleil doux, presque chaud, inondait la terrasse. Il soupira. Ménard, son chef direct, ne pouvait pas le sacquer et c’était d’ailleurs réciproque. On l’écartait systématiquement de toute enquête digne d’intérêt. Et comme il n’était pas du genre à se plaindre à la taulière, Ménard en profitait.
Ronan aurait bien aimé changer d’affectation, mais il était arrivé bien trop récemment pour pouvoir demander à être muté. Il allait devoir prendre son mal en patience et faire le dos rond au moins un an avant d’entamer les démarches.
La circulation avait repris au ralenti, malgré les barrières et les véhicules qui encombraient la chaussée. On ne pouvait pas bloquer longtemps l’avenue sans paralyser l’ensemble de la ville.
En tous cas, grâce à la caméra, il savait qu’il pouvait oublier toute la partie de la rue située entre le café et la place des Pyramides. Il fit signe à une de ses collègues, qui venait de finir de taper les premiers témoignages des serveurs, et ils partirent ensemble en quête de témoins visuels.
Qu’est-ce qu’elle faisait là ?
A l’hôpital de la Timonerie, Bruno évita la petite foule de parents et de journalistes venus aux nouvelles, et se dirigea directement vers les urgences.
L’infirmière-chef qui le connaissait l’orienta vers la petite salle de repos des équipes en lui disant que le chef du Service de Neurologie viendrait les voir aussitôt que possible.
Aladin Bouchard et sa femme étaient déjà là. Aladin faisait les cent pas, et les deux hommes se saluèrent froidement. Aurélie Bouchard, belle blonde à l’expression dégoûtée, lui adressa à peine un signe de tête de son siège. Elle était bizarrement vêtue : un long manteau de cachemire beige couvrait ses jambes nues et bronzées chaussées de tennis neuves à la semelle rougie par la terre battue.
Aladin Bouchard se rapprocha de Bruno Walmer.
–  Vous êtes toujours bien informé, dit-il. Vous savez ce qui s’est passé ?
–  Non, je suis comme vous, répondit Bruno. J’ai entendu dire qu’il y avait eu un problème en centre-ville, j’ai appris là-bas qu’il y avait eu des coups de feu, deux morts et des blessés au café du centre, et on m’a dit que Gaëlle avait été transportée ici… D’après ce que j’ai compris, elle n’a pas été blessée par un coup de feu…
–  Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Elle n’était pas censée travailler à votre cabinet ?
Bruno passa sur le ton offensant.
– Gaëlle est une excellente collaboratrice et je ne lui demande pas de comptes sur la manière dont elle utilise son temps de repos, répondit-il sèchement.
Malgré le sentiment de détestation qu’il éprouvait à l’égard d’Aladin Bouchard, il ne pouvait s’empêcher de le plaindre. Lui-même n’avait pas d’enfant, et il ne pouvait qu’imaginer l’angoisse du père. Cela le ramenait à des souvenirs anciens, lourds et infiniment douloureux. Une blessure qui ne s’était jamais refermée, et dont la douleur le réveillait encore souvent la nuit. Un drame qui avait également eu lieu un 18 mars… Il repensa à nouveau à la coïncidence entre ces deux dates. Aurélie Bouchard regardait ses ongles avec un air dégoûté, les jambes croisées. Drôle de femme. Belle et pourtant peu attirante, à cause de son expression hautaine et dégoûtée.
Aladin Bouchard avait successivement épousé les deux sœurs. Blondes, toutes les deux. Belles, toutes les deux. Et si différentes. Le bruit courait qu’elles ne se parlaient plus depuis des années. Le téléphone de Bouchard vibra. Aladin le porta à son oreille et se réfugia dans le coin le plus éloigné de la pièce. Il émit quelques onomatopées et raccrocha.
Bruno tapa un message à l’intention de Marianne. Son train n’allait pas tarder à arriver.
J’attends aux urgences de la Timonerie. Gaëlle est là. Un neurologue s’occupe d’elle. C’est tout ce que je sais. B W

 

 

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