DAJMA | Chapitre 6 – La Cité des Secrets
17037
post-template-default,single,single-post,postid-17037,single-format-standard,woocommerce-no-js,ajax_fade,page_not_loaded,,qode-title-hidden,qode_grid_1200,hide_top_bar_on_mobile_header,columns-3,qode-theme-ver-16.8,qode-theme-bridge,disabled_footer_top,wpb-js-composer js-comp-ver-5.5.2,vc_responsive

Chapitre 6 – La Cité des Secrets

Gaëlle a eu un accident !
Dans le taxi qui l’amenait Gare d’Austerlitz, Marianne appela le père de Gaëlle, Aladin Bouchard.
Elle avait épousé cet homme vingt-cinq ans plus tôt et avait divorcé après dix ans de mariage. Ils s’étaient très rarement parlé depuis, et à chaque fois, le seul sujet de conversation avait été Gaëlle, la seule raison pour laquelle elle avait tenu dix ans avant de partir.
Quand Marianne, âgée de vingt ans, avait épousé Aladin, âgé de vingt-huit, il était déjà père d’une petite fille de trois ans, dont la mère était morte en couches. Pour une jeune femme de vingt ans, se retrouver marâtre d’une fillette dont la mère venait de disparaître n’était pas a priori une situation facile. Mais la petite Gaëlle s’était aussitôt attachée à la nouvelle venue avec une telle force que Marianne n’avait eu aucun mal à succomber.
Aladin Bouchard était intelligent, volontaire, ambitieux, brutal, et très sincèrement amoureux de Marianne. Elle représentait un rêve à priori inaccessible, à cause de sa beauté, mais surtout de ses origines citadines, pour lui, fils d’ouvrier agricole, même si les parents de Marianne étaient d’origine modeste et que la mère de Marianne travaillait comme secrétaire dans une imprimerie. La personnalité tyrannique et violente d’Aladin, sa tendance à l’alcoolisme, n’étaient pas encore des défauts trop visibles. Sa force, son ambition et son agilité intellectuelle avaient séduit la toute jeune femme, d’autant qu’elle venait de sortir d’une des périodes les plus difficiles de sa vie.
Mais l’idylle n’avait pas tenu plus de quelques mois, et seule la présence de la petite Gaëlle avait empêché Marianne de s’enfuir. Elle avait résisté dix longues années pour Gaëlle, et même quand elle avait fini par abandonner le combat – un combat quotidien avec Aladin – pour pouvoir simplement survivre, elle n’avait pas pour autant abandonné Gaëlle. Elle avait réussi à imposer à son ex des visites et des séjours fréquents de la gamine chez elle, tout en poursuivant sa carrière d’avocate.
A force de travail elle avait réussi à devenir collaboratrice, puis associée dans un grand cabinet parisien, et le jour où Gaëlle avait eu 18 ans, quatorze ans plus tôt, elle avait embarqué la gamine avec elle, et l’avait inscrite à la fac de droit du Panthéon le mois suivant.
Aladin était un homme sans scrupules et sans frein. Mais il avait eu l’intelligence de reconnaître que sa fille, la seule personne au monde pour laquelle il éprouvait une affection sincère et dénuée de calcul, tirerait profit de la présence de Marianne, et c’est la raison pour laquelle il avait accepté que Gaëlle rejoigne sa belle-mère.
Il l’avait d’autant plus facilement accepté qu’un an après le départ de Marianne, il avait épousé Aurélie, sa sœur cadette. La personnalité d’Aurélie était aux antipodes de celle de Marianne. Aurélie n’aimait pas Gaëlle, et c’était réciproque. Moins elles se voyaient, mieux elles se portaient, et elles avaient coupé tout contact le jour où Gaëlle était partie rejoindre Marianne à Paris.
Quand Marianne appela Aladin, il venait de rentrer chez lui, dans la vaste propriété qu’il occupait à quelques kms de la ville. Il décrocha le téléphone dans le premier salon du rez-de-chaussée, et son visage épais se contracta dès qu’il reconnut la voix de son ex.

Tant d’années après leur séparation, elle avait encore le pouvoir de le faire sortir de ses gonds. Ses doigts blanchirent en serrant le combiné.
–  Aladin ? répéta Marianne. C’est moi, Marianne.
–  Qu’est-ce que tu veux ?
–  Gaëlle a eu un accident…
–  Quoi ? Où ça ? Qu’est-ce qu’elle a ?
–  Laisse-moi parler s’il te plaît. J’étais au téléphone avec elle. Je ne sais pas si c’est grave. Il y a eu apparemment une espèce d’attentat dans le centre…
–  Quoi?Ici?
–  Oui. Je n’en sais pas plus. Elle est partie pour l’hôpital, mais je ne sais pas lequel. Je suis dans le train. J’arrive.
–  Je me renseigne, dit-il, et il raccrocha.
Il composa le numéro du premier des deux hôpitaux où l’ambulance avait pu l’emmener et se retourna en entendant un bruit.
Aurélie était sur le seuil du salon. Sous son anorak rouge, elle portait une jupette de tennis blanche, et tenait un étui à raquette.
Au ton de son mari, elle avait immédiatement deviné qu’il parlait avec sa sœur.
– Qu’est-ce qu’il se passe ? dit-elle.
Il lui jeta un regard inexpressif. Il attendait qu’on lui réponde à l’autre bout de la ligne. Il n’avait même pas saisi ce qu’elle venait de dire.
Elle se rapprocha et il perçut son odeur de transpiration, mêlée à une autre odeur qu’il n’identifia pas.
–  Qu’est-ce qu’il se passe ? répéta-t-elle, un ton plus haut.
–  Gaëlle a eu un accident. Il se détourna.
– Et comment ça se fait que ce soit Marianne qui te prévienne ? Il la regarda à nouveau sans réagir, concentré sur le téléphone.
Malgré l’exaspération qui montait en elle, Aurélie se rendit compte qu’elle n’avait pas posé la bonne question.
–  Qu’est-ce qui lui est arrivé ?
–  Putain de merde ! hurla Aladin. Je n’en sais rien. C’est ça que j’essaie de savoir ! Ces connards me mettent en attente et je ne sais même pas dans quel hôpital elle est.
–  L’accident a eu lieu où ?
–  Dans le centre.
–  Dans ce cas elle peut être aussi bien à la Timonerie qu’à Pasteur. Ça ne sert à rien de perdre ton temps au téléphone. Tu n’as qu’à envoyer deux de tes collaborateurs aux deux endroits.
–  Les plus grosses urgences sont à la Timonerie, je file là-bas, dit Aladin.
Elle est certainement là. Aurélie émit un soupir exaspéré.
–  Je me change et je t’accompagne.
–  Non, ce n’est pas la peine, dit-il en filant vers la porte.
Aurélie laissa tomber son étui et son anorak, prit dans l’armoire de l’entrée un manteau long en cachemire beige qui couvrirait ses jambes, et courut à sa suite. Elle sentit un fluide couler de son sexe et serra les cuisses. C’était bien le moment… Et elle ne savait même pas ce qu’elle avait fait de sa culotte.
Aladin montait au volant de la grosse Mercédès et claquait la portière.
– Attends-moi ! cria-t-elle.
Elle s’engouffra à son tour dans la voiture, alors qu’Aladin démarrait déjà. Elle trouva dans la poche de son manteau un paquet de kleenex, en préleva un et se le fourra discrètement dans le sexe. Elle jeta un coup d’œil à Aladin. Il n’avait rien remarqué. Sa fille adorée avait des ennuis. Le reste du monde aurait pu s’écrouler.

Le lourd faciès du deuxième plus riche homme d’affaire de la ville était tendu vers l’avant, ses gros doigts crispés sur le volant de cuir.
Elle aurait pu le laisser partir seul. Contrairement à sa sœur aînée, elle n’avait aucun atome crochu avec Gaëlle. Mais elle devait sauver les apparences. Montrer à tous qu’elle était une bonne belle-mère. Qu’ils étaient une famille unie. Les apparences, toujours les apparences. Elle serra les cuisses un peu plus fort.

 

Version PDF : Gaëlle a eu un accident !