DAJMA | Chapitre 3 – La Cité des Secrets
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Chapitre 3 – La Cité des Secrets

J’ai envie de vous revoir

Gaëlle Bouchard, jeune avocate de trente ans, avançait sur le trottoir, en ne pensant qu’à son rendez-vous au Café du Centre. Et à ce qui allait s’ensuivre. C’était la deuxième fois qu’elle voyait sa nouvelle amie sans raison professionnelle. C’est elle, Gaëlle, qui l’avait rappelée la veille. Et elle n’avait même pas cherché de prétexte.
– J’ai envie de vous revoir.
L’autre était d’abord restée silencieuse. Puis elle avait dit simplement, mais avec une vibration éloquente dans la voix, ces deux mots qui résonnaient depuis aux oreilles de Gaëlle :
– Moi aussi.
Au ton que la jeune femme avait employé pour dire ces deux mots, son cœur s’était emballé, et il lui semblait qu’il n’avait pas ralenti depuis. Elle le sentait battre, puissant et lourd dans sa poitrine, avec son rythme obsédant.
–  Vous pouvez quand ?
–  Demain.
–  D’accord. Où ?
–  Comme vous le savez, je n’ai plus de chez moi, j’habite chez mes parents.
–  On peut se retrouver au café du Centre pour déjeuner.
–  Ok.

En raccrochant, elle avait aussitôt regretté de ne pas l’avoir invitée chez elle. Timidité ? Prudence instinctive ? Envie de prolonger l’attente ? Leur première étreinte lui avait donnée la soif inextinguible de recommencer, encore et encore. Cet après-midi, enfin. Après trois jours de délicieuse et torturante attente. Elle se sentait éperdue de désir.

Devant elle, à cinquante mètres, un homme vêtu d’un long imper couleur mastic et d’un bonnet noir au bord roulé, traversait l’avenue sur le passage piéton, le corps raide, et se dirigeait droit vers le café. Elle ne le remarqua même pas, déjà occupée à chercher son rendez-vous des yeux.

A la terrasse du café, il n’y avait quasiment pas une place de libre. Des étudiants, quelques parents avec leurs enfants – on était mercredi, profitaient des premiers signes du printemps. Non, son amie n’était pas là. Elle était à l’intérieur, ou bien elle n’était pas encore arrivée.

Alors que Gaëlle allait entrer, son téléphone sonna, le nom de Marianne s’afficha sur l’écran, et elle s’attarda sur le trottoir. Marianne était son ex- belle-mère: Marianne Bel, avocate dans un gros cabinet parisien. Sa réunion n’avait pas encore commencé, et elle profitait du court laps de

temps où elle n’était pas en rendez-vous ou en plein travail pour tenter une fois de plus de convaincre Gaëlle de la rejoindre à Paris et de travailler avec elle.
– En plus, je t’ai trouvé un ravissant petit appartement dans le cinquième, à deux pas de chez moi… On pourrait aller au bureau ensemble…

Un rond noir de la taille d’un bouton de chemise

L’homme à l’imperméable couleur mastic jeta un rapide coup d’œil circulaire avant d’entrer dans le Café du Centre. Il portait son bonnet noir au ras des sourcils, des lunettes à grosse monture, et le col de son imper montait jusqu’à ses joues. Seuls quelques centimètres de peau restaient à l’air libre.

Il se dirigea vers le fond du café en passant dans l’étroit espace ménagé entre les tables. Sous un grand miroir au cadre ouvragé, il y avait une alcôve semi-circulaire bordée d’une banquette, séparée par une petite table ovale de deux fauteuils en cuir assortis à la banquette. Deux femmes et un des deux hommes se partageaient la banquette, tandis que l’autre homme leur faisait face dans le fauteuil de droite, tournant le dos à la salle. Un peu plus âgés que la moyenne de la population du café, entre trente-cinq et quarante pour les deux femmes, plus près de cinquante pour les deux hommes, ils se distinguaient surtout par leur tenue. Les femmes étaient engoncées dans des tailleurs stricts, rose pâle pour la blonde au brushing impeccable, bleu foncé pour la brune aux cheveux courts, et les deux hommes étaient vêtus de complets sombres en laine froide et portaient des cravates aux couleurs vives. L’homme qui tournait le dos à la salle avait la nuque épaisse et les deltoïdes puissants, et ses cheveux coupés courts se raréfiaient au sommet du crâne. Celui qui lui faisait face était taillé sur le même modèle. Ils avaient l’allure d’anciens sportifs ayant troqué l’entrainement quotidien et les menus diététiques contre des réunions financières et des repas d’affaire. Sur la table ovale étaient ouverts de gros classeurs dont les pages exposées étaient noircies de colonnes de chiffres.

L’homme à l’imper mastic s’arrêta devant l’alcôve, sortit de sa poche une arme de poing semi-automatique, pointa le canon sur la partie presque dépourvue de cheveux à l’arrière du crâne de l’homme qui lui tournait le dos et appuya sur la détente.

La détonation fut à peine audible dans le brouhaha ambiant, mais un rond noir de la taille d’un bouton de chemise apparut aussitôt sur le crâne de l’homme, un jet de sang et de matière cervicale arrosa le tailleur rose de la femme et le complet de l’autre homme qui se trouvaient en face, ainsi que les pages couvertes de chiffres des classeurs. Le torse du mort plongea en

avant. L’homme à l’imper appuya une deuxième fois sur la détente, cette fois en plein front de l’homme qui lui faisait face et dont les yeux commençaient à peine à s’écarquiller. Cette seconde balle fit un petit trou de même dimension que la première et une projection identique de matière organique à dominante rouge éclaboussa le miroir mural qui se fendit avec un craquement sous l’impact de la balle ressortie du crâne.

On découvrirait plus tard que la première balle, après avoir traversé la tête de la première victime, était allée se loger dans l’intestin grêle de la seconde.
C’est à ce moment que les deux femmes se mirent à hurler.

En version PDF : Un rond noir de la taille d’un bouton de chemise